<431>malheur de perdre. Cet ouvrage, Sire, fait un honneur égal à l'esprit et aux sentiments du héros qui en est l'auteur; c'est la vertu et l'éloquence qui pleurent la vertu et les talents, moissonnés à leur aurore; on ne peut s'empêcher de joindre ses larmes à celles de V. M. en lisant un ouvrage si touchant et si pathétique. Le seul endroit peut-être que j'aurais désiré de n'y pas trouver, quoique le plus touchant et le plus pathétique de tous, c'est celui où V. M. parle de sa fin prochaine. Je sais, Sire, qu'un héros tel que vous envisage ce dernier moment avec tranquillité; mais il me semble que V. M. devrait dérober cette affligeante image aux regards de ceux qui lui sont tendrement et respectueusement attachés. Heureusement pour leur sensibilité, ce triste moment, Sire, est pour eux dans le lointain bien plus qu'il ne le paraît à V. M.; ils se flattent même qu'ils n'auront pas la douleur d'en être témoins. En lisant cette triste et éloquente péroraison, j'adressais du fond de mon cœur à V. M. les beaux vers de l'ode XVII du second livre d'Horace, où ce poëte prie Mécène de suspendre les plaintes que la vue d'une mort prochaine causait à ce favori d'Auguste, avec cette différence, Sire, que V. M. est bien plus précieuse au monde que Mécène, qu'il craignait la mort et que vous l'avez mille fois bravée, et que mes sentiments sont bien plus profonds et plus justes que ceux d'Horace.

Quelque éloquente, Sire, que soit la peinture dont j'ose me plaindre à V. M., j'aime mieux pour elle et pour moi la gaîté si philosophique avec laquelle elle sait traiter les sujets même de philosophie, sans y répandre moins de justesse et de profondeur. Elle aurait, par exemple, d'excellentes réflexions à faire en ce genre sur la procession que notre saint-père le pape vient d'ordonner parce que la religion catholique a le malheur de ne pouvoir plus opprimer et persécuter les dissidents en Pologne. C'est afficher bien adroitement l'esprit de cette religion, et donner beau jeu à ses ennemis.

V. M. traite un peu trop mal la géométrie transcendante. J'avoue qu'elle n'est souvent, comme V. M. le dit très-bien, qu'un luxe de savants oisifs; mais elle a souvent été utile, ne fût-ce que dans le système du monde, dont elle explique si bien les phénomènes. Je conviens cependant avec V. M. que la morale est