<504>l'univers, infiniment plus organisé que l'homme, n'aurait-il pas une intelligence infiniment supérieure à celle d'une aussi fragile créature?

Cette intelligence coéternelle avec le monde ne peut pas, selon que je la conçois, changer la nature des choses; elle ne peut ni rendre ce qui pèse léger, ni ce qui est brûlant glacé. Asservie à des lois qui sont invariables et inébranlables, elle ne peut que combiner, et ne saurait se servir des choses que selon que leur constitution intrinsèque s'y prête. Les éléments, par exemple, ont des principes certains, et ils ne pourraient pas exister autrement qu'ils ne font; mais si l'on veut en inférer que le monde, étant éternel, est nécessaire, et que par conséquent tout ce qui existe est assujetti à une fatalité absolue, je ne crois pas devoir souscrire à cette proposition. Il me paraît que la nature se borne à avoir doué les éléments de propriétés éternelles et stables, et asservi le mouvement à des lois permanentes, qui sans doute influent considérablement sur la liberté, sans cependant entièrement la détruire. L'organisation et les passions des hommes viennent des éléments dont ils sont composés. Or, lorsqu'ils obéissent à ces passions, ils sont esclaves, mais libres aussi souvent qu'ils leur résistent. Vous me pousserez plus loin, vous me direz : Mais ne voyez-vous pas que cette raison par laquelle ils résistent à leurs passions est assujettie à la nécessité qui la fait agir sur eux? Cela peut être à la rigueur. Mais qui opte entre sa raison et ses passions, et qui se décide, est, ce me semble, libre, ou je ne sais plus quelle idée on attache au mot liberté. Ce qui est nécessaire est absolu. Or, si l'homme est rigoureusement assujetti à la fatalité, les peines ni les récompenses n'ébranleront ni ne détruiront cet ascendant vainqueur. Or, comme l'expérience nous prouve le contraire, il faut convenir que l'homme jouit quelquefois de la liberté, quoique souvent limitée. Mais, mon cher Diagoras, si vous prétendez que je vous explique dans un plus grand détail ce qu'est cette intelligence que je marie à la matière, je vous prie de m'en dispenser. J'entrevois cette intelligence comme un objet que l'on aperçoit confusément à travers un brouillard; c'est beaucoup que de la deviner; il n'est pas donné à l'homme de la connaître et de la définir. Je suis comme