<544>trouver bien harpagon, et n'ayant que le mot d'argent à la bouche. Je n'en suis pourtant pas plus triste, et j'envisage même dans le sort prochain dont je suis menacé un grand avantage pour mon estomac, qui n'aura sûrement plus d'indigestions à craindre. O Providence! Providence! il faut avouer que tout est arrangé pour le mieux, et que vous savez parfaitement, comme dit Saint-Paul,a tirer le plus grand bien du plus grand mal. Le roi Alphonse disait, à propos du fatras des cercles qu'avait imaginés l'astronomie ancienne, que s'il avait été au conseil de Dieu quand il fit le monde, il lui aurait donné de bons avis.b Je suis tenté de croire quelquefois, dans des moments où ma dévotion s'attiédit, que Dieu avait pour le moins autant besoin de conseils quand il fit le monde moral que quand il fit le monde physique; mais je rejette bientôt cette pensée quand je songe à toutes les perfections du monde moral, au bonheur qui inonde la surface de la terre, et à l'esprit de justice, de désintéressement, de vérité, qui règne sur l'espèce humaine. Il faut avouer, Sire, qu'un pareil séjour est délicieux pour un philosophe, et qu'il doit être bien fâcheux d'en être expulsé, soit par la faim, soit par une indigestion, soit par les vrais fidèles, russes ou mahométans, qui sont si dignement occupés à s'égorger. V. M. espère qu'il se trouvera de bonnes âmes qui rétabliront la paix entre eux. Mon premier mouvement est de le souhaiter; mais il reste à savoir si, tout bien considéré, c'est procurer un grand bien à la triste espèce humaine que de l'empêcher de se détruire. C'est à V. M. à voir ce qu'il y a de mieux à faire sur ce point important; et je suis bien assuré d'avance qu'elle fera ce qu'il y a de mieux. Mais pour cela il est nécessaire qu'elle songe d'abord à se conserver; voilà ce qu'elle a de mieux à faire pour le bien de l'humanité et pour l'intérêt de la philosophie.

V. M. voudrait que j'écrivisse à Voltaire, à propos de philo-


a Peut-être dans l'Épître aux Romains, chap. VIII, v. 18, ou dans la seconde Épître aux Corinthiens, chap. IV, v. 17.

b Il est probable que ce mot du roi de Castille ne se rapportait qu'au système de Ptolémée. Il voulait simplement dire que, si Dieu avait fait le monde tel que le suppose ce philosophe, on pourrait lui donner de bons avis pour une autre fois. Voyez le Dictionnaire de Bayle, article Castille (Alphonse X du nom, roi de), note H.