<594>aucune langue fixée; cet instrument essentiel qui manque nuit à la culture des belles-lettres. Le goût de la saine critique ne leur est pas encore assez familier. J'essaye de rectifier les écoles sur cette partie si essentielle des humanités; mais peut-être suis-je un borgne qui veut enseigner le chemin à des aveugles. Quant aux sciences, nous ne manquons ni de physiciens ni de mécaniciens; mais le goût de la géométrie ne prend pas encore. J'ai beau dire à mes concitoyens qu'il faut des successeurs à Leibniz, il ne s'en trouve point. Quand des génies naîtront, tout cela se trouvera. Je crois cette chance supérieure à votre calcul. Il faut attendre que la nature, libre dans ses opérations, agisse; nous autres pauvres créatures, nous ne pouvons ni réclamer ses efforts, ni prévenir les mouvements qu'elle s'est proposés pour opérer ces productions tant désirables. Il y a encore des érudits; cependant croiriez-vous bien que je suis obligé d'encourager l'étude de la langue grecque, qui, sans les soins que je prends, se perdrait tout à fait?

Vous jugerez vous-même, par cet exposé véridique, que votre patrie ne doit pas craindre encore que les autres nations la surpassent. Pour moi, je bénis le ciel d'être venu au monde au bon temps. J'ai vu les restes de ce siècle à jamais mémorable pour l'esprit humain; tout dépérit à présent, mais la génération suivante sera plus mal que la nôtre. Il paraît que cela n'ira qu'en empirant, jusqu'au temps où quelque génie supérieur s'élèvera pour réveiller le monde de son engourdissement, et lui rendre ce stimulus qui le porte à l'amour de ce qui est estimable et utile à toute l'espèce humaine. En attendant, jouissons du présent, sans nous embarrasser du passé ni de l'avenir. Voyez avec des yeux stoïques tout ce qui peut vous faire de la peine, et saisissez avec empressement ce qui peut vous être agréable; après bien des réflexions, il en faut venir là. Je souhaite de tout mon cœur que les objets du plaisir l'emportent chez vous sur les désagréables, ou que vous vous fassiez illusion à vous-même; car, quoi qu'on en dise, il vaut mieux être heureux par l'erreur que malheureux par la vérité. Sur ce, etc.