<119>Je suis avec la plus vive reconnaissance et le plus profond respect, etc.

203. A D'ALEMBERT.

(Décembre 1778.)

Voici cet Éloge de Voltaire,a moitié minuté dans les camps, moitié corrigé dans les quartiers d'hiver. Je crains bien que l'Académie française ne critique un peu le langage; mais le moyen de bien parler velche en Bohême? J'ai fait ce que j'ai pu; l'ouvrage n'est pas digne de celui qu'il doit célébrer; toutefois j'ai profité de la liberté de la plume pour faire déclamer en public à Berlin ce qu'à Paris on ose à peine se dire à l'oreille; voilà en quoi consiste tout le mérite de cet ouvrage. Votre Éloge de La Motte est sans doute supérieur à mon griffonnage, si ce n'est que la matière que j'ai eue à traiter est plus abondante que la vôtre.

M. Rougemont doit déjà être payé jusqu'au dernier sou des arrérages qu'il peut prétendre. Et pour la guerre que nous faisons, je ne sais encore trop que vous en dire; je me considère comme un instrument dans les mains de la fatalité, qui est employé dans l'enchaînement des causes, sans que cet instrument sache quel est le but et quel sera le résultat des opérations qu'on lui fait faire. C'est un aveu sincère que les politiques et les militaires font rarement, mais très-conforme au tour des entreprises que tant d'hommes d'État ont hasardées avant moi, et dont l'histoire nous narre le dénoument tout différent des projets qu'en avaient conçus les promoteurs. Quelque pesant que ce fardeau de la guerre soit pour ma vieillesse, je le porterai gaîment, pourvu que par mes travaux je consolide la paix et la tranquillité de l'Allemagne pour l'avenir. Il faut opposer une digue aux principes tyranniques d'un gouvernement arbitraire, et refréner une ambition démesurée qui ne connaît de borne que celle d'une force assez puissante pour l'arrêter; il faut donc nous battre. Combien


a Voyez t. VII, p. I-III, et p. 57-77.