<166>mœurs, ni l'honneur de personne. Mais je vois tant de gens de lettres souffrir de cette persécution et de cette inquisition abominable, que je ne puis m'empêcher de les plaindre, quoique je ne partage pas leurs peines, à peu près comme un vieil amant prend toujours intérêt au sort d'une ancienne maîtresse qu'il a tendrement aimée. Heureux, Sire, les hommes qui peuvent comme vous commander à l'opinion, mépriser en sûreté les fripons et les sots, instruire leurs semblables sans avoir le fanatisme à craindre, et les obliger, même quand ils ne le voudraient pas, à être tolérants, modérés et raisonnables! Puissiez-vous, Sire, donner longtemps aux hommes de pareilles leçons, de pareilles lois et de pareils exemples!

Je suis avec la plus profonde et la plus tendre vénération, etc.

226. A D'ALEMBERT.

Le 20 novembre 1780.

Bien des hommes ont gagné des batailles et ont conquis des provinces, mais peu d'hommes ont écrit un ouvrage aussi parfait que l'Avant-propos de l'Encyclopédie;a et comme c'est une chose rare que d'apprécier toutes les connaissances humaines, et que c'est une chose plus commune de mettre en fuite des gens qui ont déjà peur, je crois que, en pesant les voix, les travaux du philosophe seraient jugés supérieurs à ceux du militaire, si nous envisageons ces choses du côté de l'utilité. Des connaissances bien détaillées et appréciées se conservent pour toujours, les livres les transmettent à la postérité la plus reculée; au lieu que les succès passagers d'une guerre qui n'intéresse que quelques peuples dans un petit coin de l'Europe s'oublient aussitôt qu'ils sont passés. Et voilà pour le philosophe et pour le guerrier.

J'en viens présentement aux nerfs, et pour qu'on juge par comparaison des miens et des vôtres, je propose que quelque


a Voyez t. XXIII, p. 94, et t. XXIV, p. 406.