<195>que j'ai l'honneur d'écrire en ce moment à V. M., qui par conséquent est bien à son aise pour refuser net ma petite requête. Mais j'ose croire, Sire, qu'un don très-léger, fait à ce jeune homme par V. M. pour l'encourager dans ses études, serait digne du grand roi qui honore et protége les lettres d'un bout de l'Europe à l'autre, qui les encourage dans toutes les classes et dans tous les âges, et qui est béni, célébré, adoré par elles dans toutes les classes et dans tous les âges.

Mille et mille pardons, Sire, de tout ce bavardage. Heureusement pour V. M., la poste m'avertit et m'oblige de le finir.

240. A D'ALEMBERT.

Le 12 août 1781.

Je suis obligé de confesser que vous êtes universel. Je savais depuis longtemps que vous aviez fait de grands progrès dans les hautes sciences, je savais que le beau génie d'Horace ne vous avait pas échappé; mais pour le roi prophète, le musicien favori de Saül, le plus célèbre faiseur de cantiques de Jérusalem, je ne me doutais pas que vous l'eussiez assez étudié pour le citer. Ainsi, pour faire étalage de mon érudition politique, je vous appliquerai le mot qu'un ministre d'Espagne dit à son roi lorsque la maison de Bragance lui enleva le Portugal : « Votre monarchie est comme une fosse (ou votre science); plus on la creuse, et plus on la trouve profonde. »a Tout entre dans la sphère de vos


a Nous n'avons trouvé ces paroles dans aucun historien; peut-être Frédéric rappelle-t-il l'état de l'opinion publique en Espagne, après les grandes pertes faites par Philippe IV. On donna à ce prince pour emblème un fossé, avec ces mots : Plus on lui ôte, plus il est grand. Mais son favori, le comte-duc Olivarès, lui dit : « Je viens vous annoncer une heureuse nouvelle : V. M. a gagné tous les biens du duc de Bragance; il s'est avisé de se faire proclamer roi, et la confiscation de ses terres vous est acquise par son crime. » Voyez les Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XVIII, p. 251, 252 et 255, et Vertot, Histoire des révolutions de Portugal, quatrième édition, A la Haye, 1729, in-12, p. 110 et 111. Voyez aussi notre t. XXIV, p. 570. Frédéric dit dans sa lettre inédite à son frère le prince Henri, du 17 avril 1769 : « On pourrait lui appliquer la devise espagnole dont l'emblème est un fossé, et on lit à l'exergue ces paroles : Plus on en ôte, plus il s'agrandit. »