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242. A D'ALEMBERT.

Le 27 septembre 1781.

Un ignorant de mon espèce s'édifie des leçons qu'il reçoit d'un savant de la première classe, et tels auteurs me paraissent moins absurdes quand vous citez leurs passages que lorsqu'on lit leurs œuvres de suite. La malignité qui cite tronque les originaux, et rend hérétiques les passages les plus orthodoxes; le philosophe qui cite donne une apparence de bon sens aux choses les plus triviales. Je félicite donc ceux dont vous me parlez de ce que leurs mauvais madrigaux ont été insérés dans vos écrits. Je n'en suis pas moins persuadé que Virgile, Horace et Voltaire l'emportent de beaucoup, à votre jugement, sur ces faiseurs d'hyperboles, et que vous ne les mettrez jamais en parallèle avec Newton ni avec Des Cartes. Si mon jugement est téméraire, c'est à vous à le réformer.

J'aurais souhaité que la philosophie et la raison eussent détruit la superstition et le fanatisme; il me paraît que les choses prennent une autre tournure, et que si le monstrueux édifice de l'erreur se bouleverse, on ne le devra qu'à l'épuisement des empires, qui donne lieu à des systèmes de finance plus raffinés et plus perfectionnés. Je sais qu'il y a quelques années que le prince de Kaunitz travaillait à crayonner une ligne de démarcation pour prescrire des bornes au pouvoir spirituel des vicaires du Christ au profit de l'autorité temporelle de ses potentats. Ce sera apparemment pour exécuter ce projet tout de suite que le César Joseph entame cette négociation avec le saint-siége. La chaire de saint Pierre a été fondée sur le crédit idéal de la banque du Vatican; les lettres de change payables dans l'autre monde perdent sur la place, le crédit tombe; et quoique ces symptômes n'annoncent pas une banqueroute générale, ils y acheminent le public imperceptiblement. On diminue en plusieurs lieux le nombre des moines; ces organes de la superstition vont devenir paralytiques; le suisse du paradis sera réduit à n'être qu'évêque de Rome. Nous ne verrons pas ces beaux jours; cependant j'exalte mon âme