<265>Vous aimez la tranquillité; vous la trouverez ici. Vous n'êtes obligé à aucune représentation; vous verrez le Roi comme un philosophe de qui vous serez chéri et estimé.

Le climat de ce pays n'est pas plus froid que celui de la Bretagne; j'ose vous assurer qu'il est plus beau que celui de Paris, parce qu'il est beaucoup plus serein.

Quant à l'Encyclopédie, vous pourriez travailler ici aux articles que vous faites, et laisser la direction de l'ouvrage à M. Diderot; et si, lorsqu'il sera fini, il voulait venir à Berlin, je ne doute pas que le Roi ne fût charmé de faire l'acquisition d'un homme de son mérite. Tous les gens qui pensent seraient portés à lui rendre service.

Si je suis assez malheureux, monsieur, pour que mes raisons ne vous persuadent pas. j'aurai du moins l'avantage de vous avoir montré que personne ne vous est plus attaché que moi, et que, plein d'admiration pour vos lumières et pour votre caractère, je n'ai rien oublié pour procurer à Berlin un homme qui en eût illustré l'Académie.

Comme tout le monde commence à savoir que le Roi a souhaité de vous avoir, je crois que le mystère devient aujourd'hui inutile.

Je suis, etc.

4. D'ALEMBERT AU MARQUIS D'ARGENS.

Paris, 20 novembre 1752.

Ni j'ai tardé, monsieur, à répondre à votre seconde lettre, ce n'est point par une négligence que les bontés extrêmes de S. M. rendraient inexcusable; c'est parce que ces bontés mêmes semblaient exiger de moi de nouveau que je ne prisse pas trop promptement mon dernier parti, dans une circonstance qui sera peut-être à tous égards une des plus critiques de ma vie. J'ai donc fait, monsieur, de nouvelles réflexions; mais, soit raison, soit fatalité, elles n'ont pu vaincre la résolution où je suis de ne point renoncer à ma patrie, que ma patrie ne renonce à moi. Je pourrais insister sur quelques-unes des objections auxquelles vous avez bien voulu répondre; mais il en est une, la plus puissante de toutes pour moi, et à laquelle vous ne répondez pas : c'est mon attachement pour mes amis, et j'ajoute, pour cette obscurité et cette retraite si précieuses aux sages. J'apprends, d'ailleurs, que M. de Maupertuis est mieux, et je commence à croire que l'Académie et la Prusse pourront enfin le conserver. La délicatesse dont je vous ai parlé à son égard est aussi une chose sur laquelle