<343>

8. DU MÊME.

Le 24 janvier 1782.



Sire,

Votre Majesté a daigné jeter trop d'éclat sur mon voyage de Spa; c'est pourquoi il a plu au Père céleste de me traiter comme un de ses enfants chéris, c'est-à-dire, de me châtier tout de suite, avant que le démon de la superbe pût entrer dans mon cœur et le corrompre. Après mon voyage de Spa, célébré par la première d'entre les têtes ceintes de laurier, j'ai fait une course obscure en Allemagne, et à mon retour à Paris, vers la fin du mois d'octobre, j'ai trouvé une lettre charmante et inestimable de cette première tête. Je m'apprêtais, Sire, à y répondre et à porter aux pieds de V. M. l'hommage de ma reconnaissance, lorsque je suis tombé malade. Il est vrai que, n'ayant plus de médecins depuis la mort du grand Tronchin,a j'ai évité, à force de me bien conduire, une maladie très-sérieuse, parce que j'ai eu la patience d'attendre la crise de la nature; mais aussi je ne suis pas encore totalement rétabli, et il s'en faut bien que je puisse chanter victoire. Il faut que je confesse à V. M., que l'Impératrice ma souveraine honorait du titre de mon archiatre, ou premier médecin, parce qu'elle savait qu'il m'avait sauvé la vie en m'envoyant à Carlsbad, il faut donc que je lui confesse que je crois avoir fait une grande faute au milieu de mon existence brillante à Spa : c'est d'en avoir pris les eaux par désœuvrement. Ces eaux sont trop toniques pour moi. Tant que j'ai pu courir les champs et me donner du mouvement et de la fatigue, cela allait fort bien; mais lorsqu'il a fallu reprendre la vie sédentaire, je me suis senti une bile exaltée qui a pensé me jouer un mauvais tour, et qui a encore bien de la peine à se mettre à la raison.

Mais il est juste de souffrir le châtiment de ses fautes, et c'est assez entretenir mon auguste archiatre d'une santé que je lui devais depuis près de huit ans. Je ne suis entré dans ces détails que pour prouver à V. M. combien j'ai eu à souffrir de laisser


a Théodore Tronchin, né à Genève en 1709, mourut à Paris le 30 novembre 1781. Voyez t. XXIII, p. 25, 32, 46, 52, 59, 66, 103 et 118.