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8. DU MARQUIS DE CONDORCET.

Paris, 19 septembre 1785.



Sire,

Je n'ai reçu la lettre dont Votre Majesté m'a honoré que depuis peu de jours, au retour d'un voyage que j'ai fait en Bretagne et en Berry pour y examiner des projets de navigation.

J'espère que M. Dupuis obtiendra de notre gouvernement la grâce pour laquelle V. M. a daigné témoigner quelque intérêt. Le corps de l'université, loin de s'y opposer, a paru flatté de l'honneur que reçoit M. Dupuis, et qui rejaillit sur le corps même. L'intrigue de quelques hommes médiocres, jaloux de M. Dupuis, qui sont d'ailleurs bien sûrs de n'être jamais appelés hors de leur collége, a fait naître quelques légers obstacles; mais M. le comte de Vergennes pourra aisément les lever.

J'ai en vue un homme de mérite pour la place de professeur de belles-lettres et de philosophie; mais avant d'avoir l'honneur de le proposer à V. M., je dois prendre encore quelques informations.

Nous sommes malheureusement encore bien éloignés, en France, de ne punir de mort que pour des crimes atroces. Nos lois assujettissent à cette peine pour plusieurs espèces de vols, et ces vols ont été classés, non d'après des principes fixes, mais par des motifs particuliers, et d'après ce qu'ont paru exiger des circonstances passagères. Notre jurisprudence criminelle est inférieure à celle de la plupart des nations de l'Europe. Au commencement de ce siècle, l'Angleterre seule avait sur nous quelque avantage. Un des premiers soins de V. M. a été de perfectionner cette partie de la législation dans la monarchie qu'elle gouverne, et plusieurs souverains, depuis, ont suivi son exemple.

Une seule considération m'empêcherait de regarder la peine de mort comme utile, même en supposant qu'on la réservât pour les crimes atroces : c'est que ces crimes sont précisément ceux pour lesquels les juges sont le plus exposés à condamner des innocents. L'horreur que ces actions inspirent, l'espèce de fureur populaire qui s'élève contre ceux qu'on en croit les auteurs,