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LE COMTE DE MANTEUFFEL A M. DE GRUMBKOW.

Le 10 octobre 1736.

Je vous rends grâces de vos communicata; quoique je n'aie pas encore pu recommencer ma correspondance avec Junior, j'ai remarqué, depuis trois mois, qu'il faut qu'il se soit fait un nouveau système par rapport au papa. Au lieu de tirer quelquefois sur lui à mots couverts, comme il faisait (ce qui marquait un fonds de sincérité et de confiance), il donne depuis quelque temps dans une extrémité contraire, et j'en suis fâché pour l'amour de lui; car, n'étant pas possible qu'il puisse penser réellement ce qu'il dit, il se fait soupçonner par ses meilleurs amis ou d'une dissimulation tibérienne, cousine germaine de la fourberie, ou d'une défiance mal placée à leur égard. Craignant apparemment, par exemple, que sa tirade contre les rois faibles et injustes ne soit trop générale et applicable au papa comme à d'autres, il a sans doute imaginé ces sortes de louanges outrées, comme un antidote contre le mauvais usage qui s'en pourrait faire. Pour moi, en des cas pareils, j'ai passé ces sortes d'articles absolument sous silence, afin de ne pas lui donner occasion de me croire assez bon pour regarder ces sortes d'éloges comme des sincérités, ou assez malin pour les prendre pour des ironies. Il y a d'ailleurs un beau lieu commun que je me suis proposé de lui décocher, un jour qu'il m'en donnera l'occasion : c'est celui de la véritable cause pourquoi il y a tant de souverains qui ne font que des sottises, et qui trouvent le secret de devenir l'aversion et la risée du genre humain, dont ils pourraient et devraient être le délice et l'admiration. D'où vient, par exemple, que la souveraineté qu'Auguste exerçait sur les Romains, et qui semblait faire leur félicité, devint leur fléau et leur malheur dès qu'elle se trouva entre les mains de son successeur, qui d'ailleurs avait plus d'esprit, plusieurs talents plus brillants, et précisément le même pouvoir que lui? Entre vous et moi, c'est sur ce texte-là que notre homme a besoin de paraphrases, et je lui en destine, pourvu que ma fièvre me le permette; car, tant qu'elle dure, je suis incapable de penser d'une manière suivie.