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37. AU COMTE DE MANTEUFFEL.

Rheinsberg, 2 novembre 1736.



MON TRÈS-CHER GÉNÉRAL,

Votre lettre, accompagnée de bonnes nouvelles de vin, m'a fait tout le plaisir imaginable. Avouez-moi, monsieur, qu'il y a vingt ans que l'on ne vous aurait pas donné commission de faire venir des provisions de cave; elles auraient diminué considérablement en passant par vos mains. Je me ressouviens toujours du récit que vous m'avez fait de ce fameux voyage de Prusse où vous fûtes maréchal et grand échanson de la cour, qui prenait les devants. Vous aviez, si je ne me trompe, facilité aux chevaux de relais la peine de tirer les tonneaux de vin que vous aviez vidés en chemin.

Quoique d'aucune façon je ne vous doive donner des commissions qui regardent des bagatelles, je me flatte cependant que vous me voudrez bien faire le plaisir de me faire venir huit cents bouteilles de vin de Champagne, du même que j'ai eu cette année-ci, œil de perdrix; cent de Volnay et cent de Pomard. Je rougis de vous incommoder par des soins de cette nature, et je ne vous aurais jamais prié de me faire venir du vin, si vous ne m'y invitiez par le billet joint à votre lettre.

Il me semble que le Craftsman raisonne un peu injurieusement des têtes couronnées. La liberté nous permet de voir les défauts de nos concitoyens; mais nous ne les leur devons pas reprocher en répandant du ridicule sur leurs personnes. Il n'est pas permis de faire une avanie à un particulier, et bien moins de faire un libelle diffamatoire sur le sujet des souverains de l'Europe. Je ne sais si vous serez de mon sentiment; mais il me paraît que le Craftsman abuse étrangement des bornes que doit avoir la liberté de penser. H y a toujours quelque histoire divertissante dans les nouvelles de Paris; et comment se pourrait-il que, dans un conflux de monde et de jeunes gens écervelés, il ne se passât pas des scènes divertissantes? Adieu, mon cher général; je