<57>lone, suivie de la Discorde, trouble le reste de l'univers. Souvenez-vous, en lisant ceci, que ce n'est ni de Delphes ni de l'antre de Trophoniusa que part cet oracle, mais que ce sont des combinaisons humaines sur des contingents futurs, sujets à l'erreur.

En attendant, je me réjouis véritablement de vous voir ici; j'espère même que ce voyage vous sera salutaire, parce que tout l'est pour qui peut faire diversion à la douleur. J'en reviens toujours à l'ouvrage, que je vous recommande. Mon ami Cicéron, ayant perdu sa fille Tullie, qu'il adorait, se jeta dans la composition; il nous ditb qu'en commençant il fut obligé de se faire violence, qu'ensuite il trouva du plaisir dans son travail, et qu'enfin il gagna assez sur lui-même pour paraître à Rome sans que ses amis le trouvassent trop abattu. Voilà, mon cher d'Alembert, un exemple à suivre; si j'en savais un meilleur, je vous le proposerais. Nous sentons nos pertes par le prix que nous y mettons; le public, qui n'a rien perdu, n'en juge pas de même, et il condamne avec malignité ce qui devrait lui inspirer la plus tendre compassion. Toutes ces réflexions ne font pas aimer ce public. Faites-vous violence, mon cher; vivez, et que j'aie encore une fois le plaisir de vous voir et de vous entendre avant de mourir. Sur ce, etc.

177. DE D'ALEMBERT.

Paris, 14 novembre 1776.



Sire,

J'ai reçu presque en même temps les deux nouvelles lettres, du 22 et du 26 octobre, dont V. M. a bien voulu m'honorer. Ces deux lettres, Sire, et celle que j'avais eu l'honneur d'écrire à V. M. il y a environ six semaines, ont été plus longtemps en chemin qu'à l'ordinaire. Les honnêtes commis des postes qui, par des ordres sans doute fort respectables, mais dont j'aime mieux


a Cicéron, De natura deorum, liv. III, chap. 22, et De divinatione, liv. I, chap. 34.

b Lettres de Cicéron à Atticus, liv. XII, lettres 14, 15 et 23.