<67>sez vraie malheureusement : qu'on fait souvent des vœux inconsidérés en souhaitant une longue vie à ses amis. Si Pompée était mort à Tarente, où il fut attaqué d'une fièvre chaude violente, il aurait été enterré avec toute sa réputation, et n'aurait pas vu périr sa république. Si le fameux Swift était mort à temps, ses domestiques ne l'auraient pas montré pour de l'argent lorsqu'il devint imbécile.a Si Voltaire était mort l'année passée, il n'aurait pas essuyé tous les chagrins dont il se plaint si amèrement. Laissons donc agir les vagues destinées, et, sans nous embarrasser de la durée de notre course, contentons-nous de souhaiter qu'elle soit heureuse.

Le neveu dont vous me félicitez n'a pas poussé sa carrière au delà de trois jours. Je pense comme je ne sais quel peuple de l'Afrique, qui pleurait à la naissance des enfants, et fêtait leur mort, parce qu'il n'y a que ceux qui meurent qui soient à l'abri des chagrins et des infortunes innombrables auxquelles les hommes sont sujets. Je ne vous dis rien au sujet de la nouvelle année; elle sera assurément heureuse pour moi, puisqu'elle me procurera le plaisir de voir le sage Anaxagoras et de l'assurer de vive voix de mon estime. Sur ce, etc.

181. DE D'ALEMBERT.

Paris, 17 février 1777.



Sire,

Je suis toujours comblé et pénétré des bontés de Votre Majesté, et de l'intérêt qu'elle veut bien prendre aux progrès de ma convalescence morale. Ces progrès, Sire, sont toujours bien lents; l'étude profonde me distrait sans doute, et la conversation paraît quelquefois m'intéresser. Mais quand, fatigué de travail ou de société, ce qui arrive bientôt, je me trouve avec moi-même, et isolé comme je le suis dans ce meilleur des mondes possibles, ma


a Voyez t. II, p. 16, et t. XXIII, p. 267.