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75. AU MÊME.

(Pretzschendorf) 1er janvier 1760.



Mon cher frère,

Je fais mille vœux pour votre prospérité, conservation et agrément, et je souhaite que l'année dans laquelle nous entrons soit à toute la nation plus favorable que la précédente.

L'ennemi a reçu hier un renfort d'infanterie et de cavalerie; il a actuellement vingt-huit bataillons et cinquante escadrons dans son poste. Il n'y a donc rien à faire, et nous allons retomber clans les plus cruels embarras. On prétend que Daun veut faire une campagne d'hiver; on dit que les cercles doivent retourner en Bohême. Si cela est, il les fera marcher du côté du Basberg et sur Tschopa, pour me débusquer de Freyberg; de là le corps de Hadik, joint aux cercles, tirera vers Leipzig, Beck vers Torgau, et la grosse masse de l'armée nous serrera par devant. Jugez de la fin de cette manœuvre, et quelle affreuse catastrophe se prépare. Les lettres de la France sont toutes favorables à la paix; mais il ne nous suffit pas qu'elle se fasse, il faut encore qu'elle soit prompte, ou c'est moutarde après dîner. Je me propose de consommer ici tous les fourrages des environs, et de me retirer ensuite à Freyberg; nos alliés s'en iront, et alors notre situation empirera considérablement. J'ai donné rendez-vous à la finance; j'irai un jour à Nossen, pour arranger ce que je pourrai pendant ce court espace, et établir le peu d'ordre dans les affaires qu'il me sera possible d'y mettre. Mon cœur est navré de chagrin, et ce qui me décourage le plus, c'est que je suis à bout de tous mes moyens, et que je ne trouve plus de ressources.

Je ne devrais pas vous attrister le jour du nouvel an, mais vous dérober ce tableau funeste, qui cependant est si présent à tous les yeux, qu'on ne saurait se le voiler. Enfin, mon cher frère, le passé, le présent et l'avenir me paraissent également affligeants, et je ne cesse de me répéter que, étant homme, il faut subir le sort des humains.a Je suis, etc.


a Voyez t. XII, p. 143.