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397. AU MÊME.

Le 14 février 1785.



Mon très-cher frère,

J'admire avec quelle patience vous recevez, mon cher frère, tout le bavardage politique dont je vous ennuie. S'il s'agissait de bagatelles, je ne vous importunerais pas; mais il s'agit d'affaires de la plus grande conséquence pour les suites qu'elles peuvent avoir. Scipion disait qu'il pardonnerait bien des fautes à un général, excepté celle de dire, à l'occasion d'un événement : Je ne l'avais ni cru ni prévu.a Or, dans les affaires politiques, il faut nécessairement prévoir ce qui dépend de nous, et souvent joindre la défiance aux réflexions que font naître les différentes matières qui se présentent à notre examen. De plus, dans la situation où je me trouve, il faut souvent deviner l'avenir, parce que ni l'Empereur ni la Russie ne s'expliquent envers moi, et qu'il faut que j'observe la Fiance, que je la suive dans ses démarches, pour ne me point laisser entraîner en quelque faute par une crédulité aveugle. Pour en venir là, mon cher frère, je combine tous les faits qui se présentent en moi de cent façons différentes, pour essayer si mon imagination, leur donnant des formes différentes, pourra parvenir à deviner laquelle sera celle que les événements prendront : c'est le seul moyen qu'on ait pour prévoir l'avenir et pour s'y préparer d'avance. Vous saurez que l'électeur de Bavière m'a fait déclarer qu'il ne s'était lié par aucun traité avec l'Empereur; et si cela sort de la tête de M. Lehrbach, il paraît que la cour de Vienne ait intention de me rassurer. Mais pourquoi donc trente mille Russes marchent-ils par la Pologne? Pourquoi l'Empereur fait-il de gros emprunts à Francfort? Pourquoi construit-il des magasins à Fribourg? Un prince avare s'engagera-t-il à de telles dépenses à pure perte? Tous ces arrangements ne seraient-ils pas pris pour envahir la Bavière de force


a « Scipio vero Africanus turpe esse ajebat in re militari dicere non putaram : videlicet, quia explorato et excusso consilio, quae ferro aguntur, administrari oportere arbitrabatur. » (Valère Maxime, liv. VII, chap. 2.) Sénèque le philosophe (De ira, liv. II, chap. 31) attribue ce mot à Fabius.