160. DU PRINCE HENRI.

Rheinsberg, 20 juillet 1763.



Mon très-cher frère,

C'est une grâce que vous me faites d'avoir la bonté de choisir le sujet des plafonds que vous daignez me donner, et pour laquelle vous voudrez agréer les sentiments de ma reconnaissance. Je n'abuserai pas de votre indulgence, mon très-cher frère, et j'espère dans peu vous envoyer les mémoires que vous avez ordonné d'avoir; dans cinq ou six jours j'aurai fini de prendre les eaux, et je ne tarderai pas à vous obéir. Ma sœur Amélie revient de loin, si elle se rétablit. On m'a écrit que sa maladie était plus dangereuse qu'on ne l'a cru ici; ses poumons sont attaqués, mais les médecins de là-bas lui donnent de grandes espérances; l'intérêt que vous prenez à elle doit lui rendre la vie plus chère.

<280>Je me rappelle d'avoir entendu au dôme de Berlin une musique d'église de la composition de Graun; je ne sais si c'est la même que vous avez fait exécuter à Charlottenbourg. Celle dont je parle est très-belle, et ne peut être comparée qu'au Stabat mater du Pergolèse, lequel me paraît un morceau de musique achevé. Cependant ceux qui ont écouté le Miséréré chanté à Rome préfèrent cette musique à toute autre; mais il faudrait être en Italie pour en juger. On avait écrit dans les gazettes que d'Alembert devait y aller pour recueillir sur les antiquités toutes les connaissances qu'il faut avoir, et qu'on ne peut acquérir que sur les lieux mêmes; il est très-certain que de tous les pays à voir, c'est celui qui mérite le plus d'être connu. Les monuments respectables, entourés par les habitants d'aujourd'hui, forment un contraste qui donne lieu à bien des réflexions pour une âme pensante; la beauté du pays, le théâtre des guerres anciennes et modernes, forme encore un tableau sur lequel l'imagination peut travailler. Ce pays réunit des beautés et des curiosités qu'on ne trouve dans aucun autre, et, par tant d'endroits, mérite bien la curiosité qui attire les voyageurs.

Mais j'abuse de votre patience par mes raisonnements frivoles; je vous supplie de les agréer en faveur du sentiment qui les accompagne : c'est celui du tendre attachement avec lequel je ne cesserai d'être, etc.