236. AU MÊME.

Le 2 octobre 1771.



Mon très-cher frère,

Je suis bien aise, mon cher frère, d'avoir rencontré votre façon de penser. J'ai envisagé les affaires précisément du même coup d'œil que vous les voyez, et j'ai précisément fait ce que vous me conseillez. J'ai fait partir hier le courrier avec tout ce qui est relatif à la convention de la Russie. J'ai fait une tentative pour <355>essayer si nous pourrons mettre Danzig dans la portion qui nous écherra. Il est sûr que si nous ne l'obtenons pas dans les circonstances présentes, il n'y faudra jamais plus penser; c'est à présent le moment de terminer nos traités avec les Russes, parce que les impressions des armements autrichiens sont à présent, à Pétersbourg, dans leur plus grande force, et que probablement l'arrivée de cinquante mille Russes en Pologne rendra les Autrichiens plus circonspects, que par conséquent leurs ostentations diminueront, et en même temps les appréhensions qu'elles causaient aux Russes. J'ai ajouté au projet de convention que chaque parti se mettrait en possession de sa part immédiatement après la signature dudit traité, de sorte que, ayant ce nantissement en main, nous ne risquons rien dans la suite, la possession étant ce qui décide d'ordinaire du sort de pareilles acquisitions. Je crois que Czernichew pourrait bien venir lui-même ici pour concerter d'avance les projets de campagne, au cas que les Autrichiens veuillent remuer. J'en suis bien aise, d'autant plus que cela ne gâtera rien aux affaires, quoique je ne puisse jamais m'imaginer que, après avoir appris l'arrivée de cette nouvelle armée russe en Pologne, la cour de Vienne voulût s'exposer aux plus grands hasards en rompant avec la Russie. L'honneur des événements que nous prévoyons vous sera dû, mon cher frère, également; car c'est vous qui avez placé le premier la pierre angulaire de cet édifice, et sans vous, je n'aurais pas cru pouvoir former de tels projets, ne sachant pas bien, avant votre voyage de Pétersbourg, dans quelles dispositions cette cour se trouvait en ma faveur. Enfin, jusqu'ici les conjonctures nous ont favorisés, et si cela continue jusqu'à la conclusion de la paix, nous réussirons entièrement au gré de nos désirs.