351. DU PRINCE HENRI.

Dresde, 3 décembre 1778.



Mon très-cher frère,

Plus occupé du désir de vous servir et de l'ardeur de vous être utile, mon très-cher frère, je n'ai point consulté mes propres forces en prenant le commandement de l'armée dont vous avez bien voulu me charger. J'ai cru que j'étais en état de remplir dans toute son étendue le poste que vous m'aviez confié. Quoique la campagne qui s'est terminée ait été assez fatigante, elle n'a pourtant point été des plus rudes, et sa durée a été courte; cependant il m'est impossible de vous dépeindre tout ce que j'ai souffert et de corps, et d'esprit, ni tous les efforts qu'il m'a fallu faire pour la supporter et pour la terminer. Je n'ai point de maladie formelle, et je mentirais, si je le disais; mais ma constitution est si affaiblie, mes nerfs sont tellement ébranlés, que je ne l'aurais pas cru moi-même, si je n'en avais fait la fâcheuse épreuve. Cela m'a empêché même de me porter aussi souvent que je l'aurais désiré aux lieux où je voulais être. J'ai eu mes <467>yeux attaqués de fluxions; si je suis longtemps à cheval, il me prend une soif ardente, et je suis sujet à des vertiges; et vous me pardonnerez un détail si peu propre à vous être rendu, mais ou j'ai le ventre serré, ou bien le contraire m'arrive à un point qui m'affaiblit encore plus. A tout cela se joint que les moindres nouvelles me causent une émotion que je n'ai jamais sentie autrefois. Je me suis chagriné, et cela m'a rendu comme mélancolique. Dans cette situation, pour laquelle je ne sais aucun remède, je me trouve forcé à vous supplier, mon très-cher frère, de me permettre de me retirer, après que vous aurez nommé quelqu'un qui doive prendre le commandement de l'armée. Ma situation malheureuse ne m'est que trop connue; je rentre, pour ainsi dire, dans le néant, et je perds tous les honneurs du commandement. J'ai toujours aimé d'être utile; j'ai recherché à l'être, et je suis privé non seulement de tous ces honneurs et de ces espérances, mais j'ai encore à appréhender l'oubli des services que j'ai rendus, et c'est le plus grand chagrin pour moi quand j'y pense. Cependant je ne puis prendre d'autre parti. Il est humiliant pour moi d'avoir une santé faible, mais il serait malhonnête de le cacher et de me charger d'un fardeau que mes forces ne me permettent plus de supporter. Si onze campagnes dans lesquelles j'ai reçu de vous, mon très-cher frère, des lettres et des promesses flatteuses, et des services en temps de paix, pour lesquels j'ai également reçu des preuves de votre satisfaction et des assurances que vos bontés pour moi se feraient connaître un jour, si ces services, dis-je, peuvent me conserver votre souvenir, j'aurai au moins la seule consolation que je puisse recevoir dans mon infortune. Si elle m'est ôtée, j'aurai encore celle d'avoir été dans tous les emplois de ma vie désintéressé, de les avoir remplis, sinon avec toutes les lumières d'un autre, du moins avec toute l'intégrité, et d'avoir recueilli au moins quelquefois votre satisfaction et celle du public; et, dans la retraite la plus profonde, j'attendrai la mort sans la désirer ni la craindre, mais toujours rempli du tendre et respectueux attachement avec lequel je ne cesserai d'être, etc.