<128>ni parlé sur ce sujet; par conséquent je ne suis point coupable envers vous, d'autant plus que, après les fortes instances que je vous avais faites de me laisser l'aînée, qui avait renoncé à se marier, vous ne m'avez pas fait seulement l'honneur de me répondre, quoique ce fût l'unique grâce que je vous avais demandée depuis que vous êtes venu à la régence. Je n'ai pas cru, mon très-cher frère, que vous vous intéressiez tant au sort de cette fille, et comme je sais que ma façon de penser est conforme à la vôtre, et que je me suis défaite de beaucoup de préjugés, et surtout de cette opinion qu'une fille de vingt-sept ans, qui est majeure, doive se rendre malheureuse en épousant des gens qu'elle ne connaît pas, pour contenter les caprices de son père, et que d'ailleurs le courrier que j'avais envoyé tardait à venir, je l'ai persuadée de se marier hier au matin, en présence de peu de témoins et dans l'insu de sa tante, qui a ignoré tout ceci, étant déjà malade depuis huit jours. Votre estafette est arrivée trop tard; la chose était faite. Il ne me reste donc plus qu'à implorer votre clémence pour cette pauvre femme, dont l'attachement pour moi est seul cause du pas qu'elle a fait. Je ne puis m'imaginer que vous ayez le cœur assez dur pour la priver de tout son bien, ni pour vouloir vous fâcher contre une sœur qui vous a donné tant de marques d'attachement et d'amitié. Je vous supplie, ne me mettez pas au désespoir en me privant de votre amitié. Je ne puis m'imaginer qu'elle puisse s'effacer entièrement de votre cœur pour une bagatelle pareille, qui m'aurait cependant privée d'un des plus grands agréments de ma vie. Je m'attends à une réponse favorable de votre part, d'autant plus que, si j'avais su plus tôt vos volontés, tout ceci ne serait pas arrivé, et que vous ne me refuserez pas la seule grâce que je vous aie jamais demandée. Soyez persuadé que je ne suis pas indigne de la mériter, puisque rien au monde n'effacera jamais de mon cœur le respect et la tendresse avec laquelle je serai à jamais, mon très-cher frère, etc.a


a La Margrave parle dans ses Mémoires, t. II, p. 322-324, du traité conclu par son mari avec l'Empereur en 1742, et mentionné ci-dessus, p. 121 et 125; ensuite elle ajoute : « Depuis ce moment, la guerre fut déclarée. » Cette assertion est d'autant plus douteuse, que le traité fut immédiatement rompu par le Margrave, et que la mésintelligence n'apparaît dans la correspondance de Frédéric avec sa sœur qu'à partir du mariage clandestin du comte de Burghauss avec mademoiselle de Marwitz, la même qui avait causé tant de chagrins à la princesse Wilhelmine par ses amours avec le Margrave. En ce qui concerne le comte de Burghauss et sa première inclination pour mademoiselle de Marwitz, en 1735, voyez les Mémoires, t. II, p. 227 et 228. Les vraies causes de la brouillerie qui divisa la Margrave et le Roi sont nettement exposées dans la lettre de celui-ci à sa sœur, du 16 avril 1746, notre no 169, lettre qui fut écrite à l'époque de la réconciliation.