<205>Voltaire s'est conduit comme un méchant fou, qu'il a attaqué cruellement Maupertuis,a et qu'il a fait tant de friponneries, que, sans son esprit, qui me séduit encore, j'aurais, en honneur, été obligé de le mettre dehors. Après avoir goûté de tout et essayé de tous les caractères, on en revient toujours aux personnes de mérite; il n'y a que la vertu de solide, mais elle est rare à trouver. C'est cette vertu que vous possédez, ma très-chère sœur, qui m'attache plus à vous encore que les liens du sang, et qui me rend à jamais avec la plus parfaite tendresse, ma très-chère sœur, etc.

234. A LA MÊME.

(30 décembre 1751.)b



Ma très-chère sœur,

O ma chère sœur! vous qui avez le cœur si tendre, ayez pitié de la situation où je me trouve. J'ai perdu le prince d'Anhalt,c et hier Rottembourgd vient d'expirer entre mes bras. Je devrais répondre à la lettre que vous m'avez écrite; mais je n'en suis pas capable, je ne vois que ma douleur. Toutes mes pensées s'attachent à la perte d'un ami avec lequel j'ai vécu douze ans dans une parfaite amitié. Veuille le ciel vous épargner de ces malheurs et ne vous donner que des occasions de joie! Je suis avec toute la tendresse, ma très-chère sœur, etc.


a La querelle de Voltaire avec Maupertuis avait commencé au mois de mars 1751. Voyez t. XV, p. 61 et suiv.; t. XVII, p. VIII et IX, art. VII, et p. 371 et suiv.; t. XXII, p. 344 et suiv.

b La réponse de la Margrave à cette lettre est datée du 6 janvier 1752.

c Léopold-Maximilien, prince régnant d'Anhalt-Dessau, nommé maréchal sur le champ de bataille de Chotusitz, était né le 25 décembre 1700, et mourut le 11 décembre 1751. Voyez ci-dessus, p. 28.

d Voyez t. XXII, p. 324; t. XXV, p. XIV, XV, et p. 567-618. Le général comte de Rottembourg mourut le 29 décembre, entre huit et neuf heures du matin.