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307. DE LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Le 28 novembre 1755.



Mon très-cher frère,

Je ne saurais vous dire, mon très-cher frère, la joie que m'a causée votre précieux souvenir. Vous avez eu soin de satisfaire à la fois mes sens et mon cœur. J'ai eu l'honneur de recevoir trois de vos lettres, les raisins, et la musique. Que ne vous dois-je point pour tant de marques de bonté! J'en suis pénétrée; ma reconnaissance surpasse toute expression. Je voudrais pouvoir vous dépeindre mes pensées, et je ne le puis. Mon cœur parle, mais il ne peut articuler ce dont il est rempli. Quel embarras! Ce n'est pas la première fois que j'y suis. Vous joignez à tant d'autres vertus, mon très-cher frère, celle de la modestie. Oserais-je vous dire que vous péchez par un vice contraire à ceux des autres poëtes? Ils sont trop satisfaits de leurs ouvrages, et vous l'êtes trop peu. Nous avons lu vos poésies en compagnie de deux Français, dont l'un est poëte, qui en ont été enthousiasmes. A force d'interruptions admiratives, il nous a fallu trois jours pour les lire. Ils ont surtout admiré votre éloquence et la pureté de langage, qu'ils ne peuvent absolument comprendre. Comme je n'oublie aucune minute des heureux moments que j'ai eu le bonheur de passer avec vous à Berlin, je me ressouviens très-bien que vous me fîtes l'honneur de me dire un soir le contenu du Palladion enlevé. Je me rappelle plusieurs tableaux qui y sont, qui mont paru uniques. Je souhaite de tout mon cœur que madame Hedwige,a qui est une des héroïnes de votre poëme, fasse quelques heureux miracles qui vous donnent de nouvelle matière à les chanter; je voudrais qu'elle dérangeât l'économie de certaines coiffures et la perruque de certains seigneurs; toute l'Europe la fêterait autant que la sainte Vierge. La Rosa qui était autrefois à Berlin est ici, ce qui nous a procuré un intermezzo. Son compagnon ne vaut pas à beaucoup près Cricchi,b et il me semble qu'elle a un peu déchu. On a be-


a Voyez t. XI, p. 182 et suivantes, et t. XIX, p. 397.

b Voyez ci-dessus, p. 201.