<30>

28. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH.

Ruppin, 4 juillet 1735.



Ma très-chère sœur,

Vous pouvez être bien persuadée de ma reconnaissance de la peine que vous vous donnez de m'écrire; je le regarde véritablement comme une marque de votre cher souvenir, qui m'est plus précieux que tous les royaumes du monde. Je n'ai jamais douté que vous n'excelleriez pas dans tout ce que vous entreprendriez, et que vos coups d'essai seraient des coups de maître.a Vous voilà donc tout aussi habile que Diane, et chasseuse plus vantée que Nemrod. Permettez-moi de vous dire que j'envie le bonheur des bêtes que vous avez tuées, étant mortes de la mort des plus grands héros. Quel bonheur pour un malheureux renard d'être tué de vos généreuses mains! En vérité, ma très-chère sœur, si je me sentais des dispositions mortuaires, je m'en irais vite me déguiser en daim, et je préférerais l'honneur de mourir de vos mains à une mort vulgaire ou à une vie languissante. Tout le monde n'est pas de mon sentiment; j'en connais qui ont l'âme si fort cramponnée au corps, que ni maladie, ni chagrin, ni rien ne l'en peut arracher, et, malgré la sympathie ou le génie qui a égalisé jusqu'à présent nos destinées, je suis sûr qu'elle se démentira à présent. Le Roi m'a accordé à la fin des fins la permission de faire la campagne. Je compte de partir entre ci et quinze jours. Comme l'on me réglera la route, il m'est impossible de déterminer si je pourrai avoir le bonheur de vous voir en allant. Toutefois je vous prie de croire que mon cœur ne vous quitte jamais, et que je suis avec toute la passion et la tendresse imaginable, ma très-chère sœur, etc.


a Voyez le Cid de Corneille, acte II, scène II, et notre t. IV, p. 137.