<121>pir dans la plus crasse ignorance. Voilà des vérités auxquelles personne ne pourra répondre. Que messieurs les savants se souviennent quelquefois que les sciences sont les aliments de l'âme : la mémoire les reçoit comme l'estomac; mais elles causent des indigestions, si le jugement ne les digère. Si nos connaissances sont des trésors, il faut, non pas les enfouir, mais les faire profiter, en les répandant généralement dans une langue entendue par tous nos concitoyens.

Ce n'est que depuis peu que les gens de lettres ont pris la hardiesse décrire dans leur langue maternelle, et qu'ils ne rougissent plus d'être allemands. Vous savez qu'il n'y a pas longtemps qu'a paru le premier dictionnaire de la langue allemande qu'on ait connu;a je rougis de ce qu'un ouvrage aussi utile ne m'ait pas devancé d'un siècle. Cependant on commence à s'apercevoir qu'il se prépare un changement dans les esprits : la gloire nationale se fait entendre, on ambitionne de se mettre de niveau avec ses voisins, et l'on veut se frayer des routes au Parnasse, ainsi qu'au temple de Mémoire; ceux qui ont le tact fin le remarquent déjà. Qu'on traduise donc les ouvrages classiques anciens et modernes dans notre langue. Si nous voulons que l'argent circule chez nous, répandons-le dans le public, en rendant communes les sciences qui étaient si rares autrefois.

Enfin, pour ne rien omettre de ce qui a retardé nos progrès, j'ajouterai le peu d'usage que l'on a fait de l'allemand dans la plupart des cours d'Allemagne. Sous le règne de l'empereur Joseph, on ne parlait à Vienne qu'italien; l'espagnol prévalut sous Charles VI; et durant l'empire de François Ier, né Lorrain, le français se parlait à sa cour plus familièrement que l'allemand; il en était de même dans les cours électorales. Quelle pouvait en être la raison? Je vous le répète, monsieur, c'est que l'espagnol, l'italien et le français étaient des langues fixées, et la nôtre ne l'était pas. Mais consolons-nous : la même chose est arrivée en France. Sous François Ier, Charles IX, Henri III, dans les bonnes compagnies on parlait plus l'espagnol et l'italien que le français; et la langue nationale ne fut en vogue qu'après qu'elle devint polie, claire, élégante, et qu'une infinité de livres classiques l'eurent


a Le dictionnaire d'Adelung a paru depuis 1774.