<179>faire servir de base au despotisme; il y réussit si bien qu'en ce moment il ne reste plus de vestiges en France de la puissance des seigneurs et des nobles, et de ce pouvoir dont les rois prétendaient que les grands abusaient quelquefois.

Le cardinal Mazarin marcha sur les traces de Richelieu; il essuya beaucoup d'oppositions, mais il y réussit, et dépouilla, de plus, le parlement de ses anciennes prérogatives, de sorte que ce corps respectable n'a plus, de nos jours, que l'ombre de son ancienne autorité; c'est un fantôme à qui il arrive encore quelquefois de s'imaginer qu'il pourrait bien être un corps, mais qu'on fait ordinairement repentir de ses erreurs.

La même politique qui porta ces deux grands hommes à l'établissement d'un despotisme absolu en France leur enseigna l'adresse d'amuser la légèreté et l'inconstance de la nation pour la rendre moins dangereuse; mille occupations frivoles, la bagatelle et le plaisir donnèrent le change au génie des Français, de sorte que ces mêmes hommes qui auraient révolté sous César, qui auraient appelé les étrangers à leur secours du temps des Valois, qui se seraient ligués contre Henri IV, qui auraient cabalé sous la minorité, ces mêmes Français, dis-je, ne sont occupés de nos jours qu'à suivre le torrent de la mode, à changer très-soigneusement de goûts, à mépriser aujourd'hui ce qu'ils ont admiré hier, à mettre l'inconstance et la légèreté en tout ce qui dépend d'eux, à changer de maîtresses, de lieux, d'amusements, de sentiments et de folie. Ceci n'est pas tout, car de puissantes armées et un très-grand nombre de forteresses assurent à jamais la possession de ce royaume à ses souverains, et ils n'ont à présent rien à redouter des guerres intestines, aussi bien que des conquêtes que leurs voisins pourraient faire sur eux.

Il est à croire que le ministère français, après s'être si bien trouvé de quelques maximes de Machiavel, ne restera pas en si beau chemin, et qu'il ne manquera point de mettre en pratique toutes les leçons de ce politique. On n'a pas lieu de douter du succès, vu la sagesse et l'habileté du ministre qui est à présent au timon des affaires. Mais finissons, comme disait le curé de Colignac, de peur de dire des sottises.