<190>troupes de terre, que le pays n'est pas assez peuplé pour fournir des recrues à l'armée et des matelots pour les vaisseaux, et enfin, que les batailles de mer sont rarement décisives; d'où je conclus qu'il vaut mieux avoir la première armée de l'Europe que la plus mauvaise flotte des puissances maritimes.

La politique doit porter ses vues aussi loin qu'elle peut dans l'avenir, et juger des conjonctures de l'Europe, soit pour former des alliances, soit pour contrecarrer les projets de ses ennemis. Il ne faut pas croire qu'elle peut amener les événements; mais quand ils se présentent, elle doit les saisir pour en profiter. Voilà pourquoi les finances doivent être en ordre. C'est par cette raison que de l'argent doit être en réserve, pour que le gouvernement soit prêt d'agir sitôt que les raisons politiques lui en indiquent le moment. La guerre même doit être conduite sur les principes de la politique, pour porter les coups les plus sanglants à ses ennemis. C'était sur ces principes qu'agissait le prince Eugène, qui a rendu son nom immortel par la marche et la bataille de Turin, par celles de Höchstädt et de Belgrad. Les grands projets de campagne ne réussissent pas tous; mais quand ils sont vastes, il en résulte toujours plus d'avantages que par ces petits projets où l'on se borne à la prise d'une bicoque sur les frontières. Voilà comme le comte de Saxe ne donna la bataille de Rocoux que pour pouvoir exécuter l'hiver d'après son dessein sur Bruxelles, qui lui réussit.

Il est évident, par tout ce que je viens de dire, que la politique, le militaire et les finances sont des branches si étroitement liées ensemble, qu'elles ne sauraient être séparées. Il faut les mener de front, et de leur combinaison, assujettie aux règles de la bonne politique, résultent les plus grands avantages pour les États. En France, il y a un roi qui dirige chaque branche à part. C'est le ministre qui préside, soit aux finances, soit à la guerre, soit aux affaires étrangères. Mais le point de ralliement manque, et ces branches, n'étant pas réunies, divergent, et les ministres ne sont chacun occupés quea des détails de leur département, sans que personne réunisse à un but fixe l'objet de leurs travaux. Si pareille chose arrivait dans cet État, il serait perdu, parce que


a Le mot que est omis dans l'autographe.