120. AU COLONEL DE CAMAS ET AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Berlin, 29 octobre 1740.

Comme on aura été déjà informé avant celle-ci de la mort de l'Empereur, cette grande nouvelle et événement, arrivé précisément dans une crise où les affaires de l'Europe se trouvent dans une terrible fermentation, fixera surtout l'attention de la cour de France et découvrira sans doute bientôt les desseins et projets que cette cour paraît s'être ménagés de longue main déjà, et pour lesquels elle a pris, il y a longtemps, des engagements secrets avec les trois électeurs de la maison de Bavière et de la palatine.

On a assezremarqué, par plusieurs démarches, et même par les discours des ministres de France à ma cour, que cette cour n'épargnera rien pour frustrer le duc de Lorraine de son attente de parvenir à la dignité impériale. La perte que ce prince a faite, contre son gré et <79>d'une manière forcée, de son ancien patrimoine, lui tient trop à cœur pour qu'il ne doive songer un jour à s'en venger, et à y rentrer s'il est possible. Cette idée seule suffit pour lui donner à jamais l'exclusion au trône impérial auprès de la France, qui en tout cas fera, selon toutes les apparences, unelevée de boucliers, pour empêcher cette élévation. Mais par le même motif cette couronne s'emploiera vivement pour l'électeur de Bavière en cette occasion, comme étant le candidat à qui elle destine depuis longtemps son suffrage pour la dignité impériale, et dont elle se promet beaucoup plus de reconnaissance et de bons services que de la maison de Lorraine.

Il est aussi fort probable qu'en cas que la France ne veuille pas risquer le paquet pour faire la guerre en faveur de l'électeur de Bavière, elle changera de batterie et travaillera à la dissolution du système d'à présent de l'Empire, pour renverser la Sanction Pragmatique, et anéantir le reste des forces de la maison d'Autriche, qu'elle a de tout temps regardée comme le seul obstacle à ses vues.

Il y a encore une autre idée que bien des gens attribuent à la France, quoique, si j'ose le dire, elle me paraisse sinon chimérique du moins fort téméraire, c'est de faire revivre l'ancien projet de François Ier, et se porter hautement pour un des aspirants et candidats à la couronne impériale. On prétend que, pour y parvenir, elle compte en quelque façon sur les suffrages des trois électeurs ecclésiastiques, dont celui de Cologne lui est déjà attaché, et dont les deux autres seraient ou intimidés ougagnés à force d'argent. Les électeurs de Bavière et le Palatin, au cas que l'élection du premier trouvât trop d'obstacle, s'y livreraient par les convenances qu'on pourrait leur faire, et, par là, cette couronne trouverait la supériorité dans le collége électoral pour elle, et suppléerait au reste par ses forces etpar son argent.

Ce serait de tous les projets le plus dangereux pour la liberté de l'Allemagne et de toute l'Europe, et j'ai de la peine à m'imaginer qu'un ministre aussi sage et aussi éclairé que le cardinal de Fleury s'y puisse livrer, quelque flatteuse que cette idée puisse paraître à son ambition et à celle du Roi son maître.

Enfin, quoi qu'il en puisse être de ces plans différents, il est constant que la France en choisira un, et qu'elle ne négligera rien pour le mettre à exécution, à moins que la guerre dans laquelle elle est à la veille d'entrer avec l'Angleterre ne fasse une grandediversion à ses projets de ce côté-là.

En attendant, vous comprenez bien de quelle importance il est pour mon service, dans la crise présente des affaires, que je sois informé, au plus tôt et au plus juste que cela se pourra, desvéritables idées de cette cour sur cet événement, et des arrangements et mesures qu'elle pourrait prendre conséquemment, et vous ne devez rien négliger pour les approfondir, sans faire semblant que j'en appréhende aucune, et

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j'attends votre rapport exact et détaillé là-dessus avec la dernière impatience.

Federic.

H. de Podewils.

Nach dem Concept.