568. AU GRAND-MAITRE DE L'ARTILLERIE BARON DE SCHMETTAU [A SAINT-PŒLTEN].

Quartier général de Neunz, 23 octobre 1741.

Vos deux dépêches du 10 et 11 du courant m'ont été rendues hier, et j'y ai vu avec quelque surprise que, nonobstant le peu de temps qui reste, dans cette saison, pour agir, on a pourtant traîné de faire quelque mouvement en avant, et qu'au 10 du courant, on n'était avancé que jusqu'à Ybbs. Les raisons que vous conjecturez de ce tardement, me paraissent assez vraisemblables,386-1 mais il faudra voir jusqu'où cela ira.

Quant au discours que vous avez eu avec Beauveau, ma situation ici n'est pas tout-à-fait telle que vous vous êtes imaginé. Il n'a pas été en mon pouvoir de chasser l'ennemi ni d'assiéger Neisse quand je voulais, mais j'ai dû diriger mes opérations selon les mouvements de l'ennemi. Celui-ci, ayant le dos tout-à-fait libre, s'est toujours posté tellement que d'un côté il a couvert Neisse, et que de l'autre côté ses camps étaient presque inattaquables, les ayant toujours pris sur des hauteurs, où il était couvert devant lui de bocages, de marais, de défilés et de villages, etc. Cela aurait peut-être duré encore quelque temps, si je n'avais pris la résolution de faire un mouvement avec mon année, comme si je voulais pénétrer en Moravie, et c'est ce qui lui a fait prendre le parti de marcher soudainement pour couvrir cette province. Alors je me suis déterminé à me tourner vers Neisse et de l'assiéger promptement, où je trouve pourtant plus de difficulté que je n'aurais cru, à cause du terrain marécageux et des inondations qu'il faut faire écouler. En même temps j'ai envoyé 22 escadrons de

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cavalerie avec quelque infanterie aux trousses de Neipperg, qui, selon les rapports que j'ai eus, est encore avec le gros de son armée derrière Troppau, quoique la tête en soit déjà entrée en Moravie.

Outre cela, tandis que je suis occupé au siége de Neisse, je fais pénétrer un corps de 10 bataillons et de 30 escadrons en Bohême pour resserrer Glatz, et pour établir une communication avec les troupes des alliés qui vont entrer en Bohême. Mais c'est aussi tout ce que je pourrai faire, et les grandes fatigues que mon armée a soutenues, onze mois tout d'une suite, m'obligent absolument de la mettre dans des quartiers d'hiver pour se reposer, étant certain que sans cela je risquerais de la ruiner sans ressource.

Vous comprendrez ainsi aisément que, quand même j'aurais voulu suivre l'ennemi en Moravie, et le forcer dans les montagnes et défilés qui séparent la Moravie d'avec la Silésie, je n'en aurais tiré aucun avantage, en risquant pourtant le salut de mon armée, puisque l'ennemi, qui m'aurait toujours devancé, aurait ruiné toute subsistance pour mon armée; et mes magasins, étant sur l'Oder et éloignés de plus de 8 à 10 lieues, ne m'auraient pu être d'aucun secours. Voilà ma situation, pour laquelle vous concevez vous-même que je ne pourrai continuer à me charger seul de toutes les opérations de guerre, comme j'ai fait jusqu'à présent, les autres étant restés les bras croisés, et qu'il est d'une nécessité indispensable de faire reposer mes troupes d'abord que j'aurai achevé avec Neisse. Vous éviterez ainsi, autant qu'il est possible, de m'engager pour le reste de cette année à quelque opération, et il faut que les autres fassent aussi de leur côté quelques efforts pour pousser l'ennemi commun, surtout Messieurs les Saxons, qui pensent que les oiseaux leur doivent venir par les soins et risques des autres. Au reste, vous continuerez de me mander le plus souvent de vos nouvelles et je suis etc.

Federic.

Nach der Ausfertigung.



386-1 Schmettau meldet, Ybbs 11. October: „Il est certain que, si M. de Belle-Isle et ceux qui ont les instructions de lui le voulaient bien, nous pourrions être bien plus avancés, mais je commence à croire que les Français sont eux-mêmes bien aises qu'on ne se presse pas trop, et qu'ils souhaitent d'entretenir une ou deux années leurs armées sur les frais de l'Allemagne.“