610. AU CARDINAL DE FLEURY A ISSY.

Berlin, 3 décembre 1741.

Monsieur mon Cousin. Vos lettres ne m'importunent jamais; au contraire, elles me font un très grand plaisir, et je suis ravi de puiser des lumières dans la correspondance d'un grand homme, dont l'expérience et la sagesse sont reconnues de toute la terre, et dont l'âge ne diminue en rien la force de l'esprit, du génie, et de l'exécution.

J'ai lu avec beaucoup d'attention le mémoire, Monsieur, que vous avez eu la bonté de m'envoyer, et je dois vous rendre justice que votre conduite à l'égard de l'Espagne et de vos autres alliés a été irréprochable dans la dernière guerre. Vous pouvez aussi être persuadé qu'il ne règne dans mon cœur aucune méfiance contre le Roi votre maître, et que ce ne sera pas moi qui donnerai lieu à l'altération de l'union étroite qui règne entre nos cours. Pour démentir d'une façon authentique et sans équivoque les bruits que les Autrichiens avaient répandus dans le monde de notre accommodement, j'ai écrit à l'électeur de Mayence une lettre pathétique et pressante pour accélérer l'élection de l'électeur de Bavière.

J'ai parlé à M. de Valory des mesures que je croyais qu'il serait nécessaire de prendre pour la gloire du Roi de France et pour le repos de l'Allemagne, contre les mauvais desseins du roi d'Angleterre. J'ai minuté une déclaration, que je crois qu'il sera d'une nécessité absolue de faire faire à ce prince par nos envoyés à sa cour pour déraciner ce reste de mauvaise volonté impuissante avec laquelle il cabale en Europe, et pour lui ôter une bonne fois l'envie et les moyens de s'opposer aux arrangements que le roi de France a pris avec ses alliés. Il y a actuellement quelques-unes de mes troupes sous les ordres de l'Électeur, et je me prépare à ouvrir au printemps prochain la campagne à la tête <420>de 40,000 hommes de mes troupes. Nous ferons, le maréchal de Belle-Isle et moi, tous les-arrangements nécessaires pour que nous puissions avoir le plaisir, Monsieur, de vous donner bientôt la nouvelle de la façon dont vos braves Français et vos alliés savent exécuter et mettre à leur perfection les projets des grands événements que vous avez roulés dans le capacité de votre génie et que vous avez arrangés dans le conseil de votre sagesse.

L'artifice que la cour de Vienne a employé pour nous désunir, est d'autant plus grossier qu'il est visible et qu'il saute aux yeux des moins politiques que jamais je ne pourrais faire de démarche plus contraire à ma gloire et à mes intérêts, que de faire une paix plâtrée avec mes ennemis, qui conserveront naturellement le levain dans leurs cœurs contre moi, qu'ils regardent comme l'auteur de leurs infortunes.

D'ailleurs, rien ne m'est plus avantageux que de voir, entre les Autrichiens et moi, les Saxons, qui me servent, pour ainsi dire, de digue contre l'envie qui pourrait prendre à la reine de Hongrie de recupérer la Silésie.

Le voisinage de l'électeur de Bavière, de l'autre côté, me convient beaucoup mieux que celui des Autrichiens, avec lesquels je ne saurais vivre en sûreté, et auxquels je puis dire avec Cicéron: Non Catilina! vous ne vivrez point dans l'endroit où je suis! Fuyez Catilina, il faut que des murs nous séparent!

Mais plus que toutes ces raisons que je viens d'alléguer, les vrais principes de politique de ma maison demandent qu'elle soit étroitement unie avec la France, puisque, moyennant cette union, le rôle que nous jouons en Europe est infiniment plus beau que celui que nous jouerions à la suite de l'Angleterre et de la Hollande.

De plus, dans les liaisons où je suis maintenant, je puis voir l'agrandissement de la France sans envie, de même que cette couronne peut regarder le mien sans qu'il lui soit préjudiciable, puisque nous n'avons aucun litige ensemble, et que le voisinage ne nous commet point. Il y à même des raisons du côté de nos deux cours également fortes pour cultiver de plus en plus notre union et de la rendre, s'il se peut, éternelle.

C'est tout le contraire avec l'Angleterre et l'Autriche. N'eussé-je pas d'autres raisons de ne point m'allier avec eux que celle de leur pitoyable conduite, celle-là même serait, ce me semble, suffisante.

Mais je ne m'aperçois pas que j'abuse à mon tour du loisir de l'Atlas de l'Europe. Si je vous écris de longues lettres, c'est, Monsieur, que j'aime à m'entretenir longtemps avec vous, et que l'amitié est bavarde. J'espère que vous ne m'en saurez pas mauvais gré, et que vous ne douterez jamais des sentiments de la haute estime et de la considération parfaite avec laquelle je suis, Monsieur mon Cousin, votre inviolable ami et cousin

Federic.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.

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