646. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Berlin, 25 décembre 1741.

J'ai été surpris de voir par le post-scriptum de votre relation du 15 du courant que le Cardinal vous ait fait entrevoir quelque inquiétude par rapport à l'augmentation qu'on prétend que je fasse de mes troupes.

Si le marquis de Valory en a marqué le nombre à 150,000 hommes, j'avoue qu'il n'a pas accusé juste, et je connais trop mes forces pour que je doive aspirer à une chose qui les surpasserait.

Tout ce que j'ai fait à l'heure qu'il est, n'a été que de lever, outre un couple de régiments, quelques bataillons de garnison pour les placer dans des lieux où je pourrais être obligé d'en retirer les troupes; ces bataillons n'étant guère autre chose que ce qu'on appelle la milice en France.

Si j'avais jamais pu deviner la révolution extraordinaire qui vient de se passer en Russie, j'avoue que je n'aurais pas pensé même à lever ces bataillons de garnison, qui, quoiqu'ils soient peu de chose, me sont pourtant infiniment coûteux. Mais, comme des lettres de Londres m'apprenaient que la ci-devante Régente de Russie avait fait faire déclarer <444>par son envoyé à la cour de Londres qu'on était résolu d'accomplir ses engagements avec la cour de Vienne, et q'uon pensait de lui prêter l'assistance en troupes, j'avais pris alors la résolution d'envoyer un corps de troupes de 15,000 hommes en Prusse, pour n'y point craindre des insultes. Et comme je ne pouvais pas fournir tant de troupes sans en dépouiller les garnisons, j'ai été obligé de penser à d'autres ressources, entre lesquelles celle de la France par rapport aux milices m'a paru la meilleure. Le Cardinal n'a donc aucun lieu de s'ombrager de ce qu'on veut faire passer pour une augmentation de mes troupes, et vous tâcherez sans affectation de lui ôter tout ombrage, et de lui emmieller cela d'une manière convenable.

Au reste, des lettres que j'ai reçues des différents lieux ne me parlent que d'une augmentation très considérable des troupes qu'on va faire actuellement en France, tant de cavalerie que d'infanterie. Vous devez donc me marquer, au plus tôt possible, ce qui en est, et vous tâcherez d'approfondir les véritables raisons de cette augmentation si considérable, dans un temps où, selon toutes les apparences, la France n'a rien à craindre de tous ses envieux et jaloux.

Vous aurez toute l'attention possible pour voir le dessous des cartes, et vous m'en informerez au plus tôt possible.

Federic.

Nach dem Concept.