5973. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A VIENNE.

Potsdam, 24 juillet 1753.

Jusqu'à présent, tout ce que nous savons de nouvelles de Turquie, nous laisse dans de fortes incertitudes là-dessus. D'un côté, des lettres de Pologne nous disent que celles des frontières de l'Ukraine marquent qu'à la vérité les Tartares continuent toujours d'inquiéter les Russes, mais qu'on ne s'apercevait pas que les Turcs voulussent encore prendre ouvertement parti dans ces petits démêlés; que cependant il était évident que ces derniers incitaient à la sourdine les Tartares de ne pas se désister de leurs prétentions contre la Russie. D'un autre côté, l'on marque de Suède que les nouvelles qu'on a eues de fraîche date, ne font nulle mention, non plus que les précédentes, d'aucun mouvement à la Porte qui saurait être relatif à ceux des Tartares en Ukraine; qu'à la vérité de pareils bruits couraient aussi à Moscou, mais qui ne venaient que du dehors, au lieu que le dedans n'annonçait rien, ni par quelque embarras du ministère russien ni autrement, qui pût faire soupçonner qu'on était à la veille d'une rupture avec la Porte. Je serai<26> bien aise, si vous savez développer là où vous êtes ce qui en est véritablement.

Comme l'Empereur et l'Impératrice seront apparemment partis de Vienne pour voir les régiments de hussards campés à Kittsee en revue et manœuvres, vous me rendrez un service bien agréable si vous pouvez me faire avoir un détail exact de tous les manœuvres que ces régiments ont faits pendant le temps de leur exercice.

Je vous prie de déchiffrer vous-même ce qui se trouve dans le postscriptum ci-joint.

Federic.

P. S.

L'application que je me suis donnée pour m'orienter de quoi il saurait s'agir dans ces fréquentes et longues conférences qui en conséquence de plusieurs de vos rapports se tiennent à Vienne entre l'ambassadeur de Russie et les ministres de Vienne, un hasard tout pur m'a fait découvrir des choses assez importantes qui se sont passées entre le ministre d'Angleterre et le ministère russien à Moscou, dont je veux bien vous informer pour votre seule direction et sous le sceau du secret le plus absolu à me garder.

C'est depuis que le roi d'Angleterre a pris des appréhensions, soit feintes et affectées soit réelles, sur les bruits frivoles qui ont autrefois couru d'une invasion que je méditais de faire dans son électorat, qu'il a fait solliciter par Guy Dickens la cour de Russie de vouloir bien assembler derechef contre des subsides un corps de troupes russiennes dans la Livonie, prêt à marcher sur la réquisition de la cour d'Angleterre, en cas d'attaque de ma part. Cette négociation a été, à ce que j'apprends, avancée au point qu'il ne s'agissait actuellement que de faire signer à l'Impératrice les propositions mises en avant par ses ministres touchant la manière et les conditions sous lesquelles la cour de Russie s'engagerait à tenir en Livonie et près de la Mer Baltique un corps de troupes prêt à marcher pour le service de la Grande-Bretagne, en suite de quoi il ne resterait aux chanceliers que de délivrer au sieur Guy Dickens par écrit une réponse complète sur le mémoire qu'il leur avait remis sur ce sujet. Comme les dissipations ordinaires de l'Impératrice n'avaient d'abord permis que cette réponse fût signée d'elle, le ministère russien avait, en attendant, et nonobstant que cette négociation était si peu parvenue à sa consistance, [pris] l'arrangement que, dès que l'Angleterre agréerait les conditions qu'on lui demanderait, un corps de troupes russiennes jusqu'à 70,000 hommes devait s'assembler en Livonie et à la Mer Baltique, et les galères à Pétersbourg se tenir prêtes pour mettre à la voile au premier ordre, et, pour avoir une bonne réserve, de lever 60,000 recrues, mais qu'en revanche la Russie demandait à l'Angleterre un subside de trois millions d'écus de Hollande, le cas de la réquisition existant, et un million, en attendant, pour tenir prêt le corps de troupes.

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Que du depuis l'Impératrice avait tenu un grand conseil où elle avait fait proposer simplement la question s'il était de l'intérêt de la Russie de voir d'un œil indifférent quelque nouvel agrandissement de la maison de Brandebourg, sur laquelle on avait décidé par la négative.

Voilà ce que l'hasard m'a fait découvrir; je n'en suis cependant point embarrassé, car je ne saurais point croire que le ministère anglais ne voudrait ni ne saurait charger la nation, sans raison ni sans aucun motif pressant, d'une aussi forte somme que celle que le ministère russien prétend en subsides, car vous savez que tout le différend où je suis encore avec l'Angleterre, n'importe que la somme de 150,000 écus. Au surplus, tout ce qu'on a débité jusqu'à présent d'une marche de 60,000 hommes de troupes russiennes en Livonie, est prématuré et ne sont que des ostentations en bruit de gazettes.

Du reste, cette confidence que je vous fais seul, ne doit vous servir autrement que pour vous mettre à la voie pour pénétrer au possible, sans faire semblant de rien, ce qui peut être l'objet des conférences avec le comte de Keyserlingk et si peut-être la cour de Vienne ne voudrait pas demander à l'Angleterre les mêmes subsides que la Russie, pour avoir, aussi, prêt un corps de ses troupes à la disposition du roi d'Angleterre. Je finis en vous recommandant encore une fois le plus grand secret sur tout ceci et de n'adresser les rapports que vous me ferez à ce sujet, qu'à moi seul et immédiatement.

Federic.

Nach dem Concept.