6145. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A PARIS.

Potsdam, 23 décembre 1753.

Je vous avais déjà prévenu, quoique assez vaguement, par ma dépêche d'hier combien le ministre anglais à Moscou, le sieur Guy Dickens, avait été embarrassé de la réponse que son dernier courrier lui avait apportée de Londres au sujet du projet de convention des subsides que les ministres de Russie lui avaient rendu, et dont à son temps je vous ai envoyé une copie190-1 en son entier. Comme je viens d'avoir du depuis par un canal secret, mais tel que j'y puisse absolument compter,190-2 des amples informations sur toutes ces entrefaites et même la copie in extenso du contre-projet que les ministres anglais ont envoyé à Guy Dickens sur celui que ceux de Russie lui avaient donné, je n'ai pas balancé un moment de vous envoyer par un exprès tout tellement que je l'ai reçu, afin que vous cherchiez d'avoir au plus tôt possible un entretien secret avec M. de Contest pour lui faire lire en son entier ce contre-projet et lui expliquer toutes les informations que j'ai sur ce sujet, telles que je vais vous les marquer. Vous lui demanderez cependant de ma part le secret le plus absolu, par les mêmes raisons que je vous ai déjà marquées autrefois.

C'est au sujet de ce contre-projet du ministère britannique qu'on me marque qu'il a été envoyé au sieur Keith à Vienne; que le conseil de l'Impératrice-Reine avait été assemblé immédiatement là-dessus, pour l'examiner et pour délibérer sur son contenu en présence de ladite Princesse, et qu'il avait été résolu de dresser d'abord un mémoire à envoyer au ministère de Russie par le courrier que le sieur de Keith dépêcherait à Moscou, pour tâcher de faire goûter ce contre-projet audit ministère.

L'on m'ajoute à ce sujet que, quelque zélé que le roi d'Angleterre ait été pour entrer dans des engagements plus étroits et plus précis avec la Russie, toutefois l'énormité des demandes contenues dans le projet de convention l'avait frappé, et qu'on avait d'abord agité dans son Conseil s'il ne valait pas mieux de laisser entièrement tomber cette affaire que de s'amuser longtemps à une négociation que l'avidité d'un côté empêcherait de parvenir à quelque consistance, mais que le duc de Newcastle avait su à la fin ramener les esprits à la formation du contre-projet. Que personne n'avait été si difficile que le roi d'Angleterre, qui avait été persuadé que le danger était passé et qui avait déclaré que ce contre-projet était son dernier mot.

Que le duc de Newcastle s'était exprimé de la manière suivante dans une lettre du 24 d'août dernier au sieur Guy Dickens que le Roi son maître n'ayant d'autres vues par ce traité que d'affermir la paix publique, maintenir les justes droits des deux parties respectives et rendre l'union entre lui et l'impératrice de Russie plus solide, les de<191>mandes et propositions faites dans le projet que le sieur Guy Dickens avait envoyé en date du 18 juillet,191-1 étaient tout-à-fait incompatibles avec ces principes et, par conséquent, inadmissibles en tous points.

L'on remarque que c'est cette lettre du duc de Newcastle qui avait mis Guy Dickens dans un extrême embarras, de sorte qu'il avait été fort sensible et chagrin contre le ministre de ce qu'il appuyait si peu les vues salutaires et les dispositions favorables que la Russie avait montrées; qu'aussi après avoir consulté là-dessus avec le baron Pretlack et autres intimes, l'on était convenu avec lui qu'on cacherait encore au chancelier Bestushew le contenu de la susdite lettre.191-2 Que néanmoins le courrier qui avait porté à Vienne le contre-projet anglais, avait été chargé d'une autre lettre du ministre pour Guy Dickens, contenant des instructions pour ce dernier sur la façon de s'expliquer avec les ministres russes au sujet des changements qu'on avait faits au projet délivré par ceux-ci, en leur disant que leur projet paraissait être appuyé sur un tout autre principe que le contre-projet; qu'ils s'étaient imaginés que l'attaque des États du roi d'Angleterre en Allemagne était inévitable, et que, regardant le cas extrêmement pressant, ils avaient réglé là-dessus le nombre des troupes auxiliaires et le subside énorme, mais que cette idée était entièrement fausse, et, comme l'unique vue du roi d'Angleterre n'était que celle ci-dessus marquée, le contre-projet était sans doute d'autant plus raisonnable qu'il remplissait ces vues salutaires, et que les propositions y contenues étaient de nature à pourvoir amplement aux frais qu'il en coûterait à la Russie. Qu'au reste on avait joint les pleins-pouvoirs au sieur Guy Dickens pour cette négociation, avec ordre exprès de ne pas conclure absolument qu'aux conditions énoncées.

Vous ferez un compte fidèle à M. de Saint-Contest de tout ce que dessus, en lui insinuant de ma part combien je prétendais d'aller droit avec la France et ne lui jamais causer plus d'embarras que les circonstances ne demandèrent; que c'était en conséquence de ce principe que je lui faisais par vous un récit exact de ce qui m'était revenu, et que j'agirais toujours en conséquence, en ne lui demandant que le dernier secret de mes confidences.

Qu'au surplus il restait à voir si l'avidité du chancelier Bestushew se contenterait des subsides aussi modiques que ceux que l'Angleterre offrait, et qui du moins différaient beaucoup de ceux qu'il avait demandés.

Qu'au reste tout ceci me confirmait dans le sentiment que je lui avait fait déjà déclarer par vous, qu'il ne fallait pas se précipiter pour conseiller à l'Électeur palatin l'accommodement avec la cour de Vienne,191-3 et que d'ailleurs il n'y avait rien du tout qui pressait pour faire de nouvelles propositions aux ministres anglais touchant l'accommodement sur mes différends avec l'Angleterre.

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Vous me ferez votre rapport à son temps sur tout ceci et observerez, au reste, les mêmes précautions envers M. de Contest que celles que je vous avais recommandées, quand je vous envoyais la copie du projet de convention des ministres de Russie.

Federic.

P. S.

Je crois nécessaire, Milord, de vous répéter encore qu'il faut que vous recommandiez le dernier secret à M. de Contest sur toutes les ouvertures que vous lui ferez, et que vous ne vous désaisissiez de la copie du contre-projet, quoique vous la laissiez lire à M. de Contest à son gré et toutes et quantes fois qu'il le souhaitera. Il sera persuadé que ce n'est point par un manque de confiance que je crois devoir user de ces précautions, il connaît lui-même combien il coûte de pouvoir trouver des canaux d'où l'on tire des pièces de cette importance, et que la moindre chose qui en transpire, ou le moindre accident, nous les fait perdre sans retour. C'est aussi pourquoi je prétends qu'après que vous aurez fait lire la pièce à M. de Contest, vous la gardiez vous-même soigneusement sous votre clef.

Au reste, dites à ce ministre que je me conforme en tout à ses sentiments pour ne point nous précipiter avec l'Électeur palatin, mais de lui inspirer plutôt de la fermeté. Et qu'au surplus nous ne fassions point de nouvelle démarche pour accommoder mes différends avec l'Angleterre, mais la voyions plutôt revenir à nous, en attendant des conjonctures plus favorables pour reprendre la négociation.

Projet de Convention.

D'autant que l'amitié sincère et intime qui unit Sa Majesté Britannique et Sa Majesté Impériale de toutes les Russies, aussi bien que les engagements qu'elles ont contractés par le traité d'alliance défensive de l'année 1742, les obligent en tout temps de veiller à la tranquillité publique et à leur sûreté réciproque; et que dans la conjoncture présente des affaires la conservation de la paix générale et la défense de leurs États, droits et sujets respectifs leur ont paru exiger nécessairement qu'elles se garantissent contre les attaques dont elles pourraient être menacées de la part de quelque puissance que ce soit, en s'assurant d'un corps de troupes capable de faire une puissante diversion en cas de telles attaques; et, comme vu la situation présente les contingents des secours stipulés par le traité susmentionné ne rempliraient point tous les objets susdits, Sa Majesté Britannique et Sa Majesté Impériale de toutes les Russies ont jugé convenable de concerter d'avance les mesures ultérieures de prévoyance que la tranquillité générale et leurs intérêts et sûreté commune paraissent demander, et pour cet effet ont autorisé le sieur … p. p., lesquels sont convenus des articles suivants.

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Art. 1. Les hautes parties contractantes renouvellent expressément par cette convention le traité d'alliance défensive conclu entre elles le 11 décembre 1742 à Moscou193-1 dans tous ses articles et confirment les stipulations des secours à donner réciproquement, comme elles sont contenues dans l'article 4 dudit traité, lesquels secours seront fournis de part et d'autre de la manière et aux conditions y énoncées.

Art. 2. Comme il est porté par l'article 17 de l'alliance susmentionné « que, si les secours y stipulés ne suffisent point, alors les parties contractantes conviendront, sans différer, des secours ultérieurs qu'elles devront se donner, » et comme cela n'atteindrait pas les buts proposés, et qu'il pourrait arriver des cas qui ne leur laisseraient pas le temps de convenir là-dessus, afin d'obvier aux inconvénients qui résulteraient nécessairement d'un pareil délai, elles se sont accordées à fixer dès à présent à tout évènement les moyens de leur défense. Dans cette vue, Sa Majesté Impériale de toutes les Russies a non seulement fait marcher vers les frontières de la Livonie attenantes à la Lithuanie, mais s'engage aussi d'y tenir, tant que cette convention durera, aussi près de ces frontières que les quartiers pourront le permettre, un corps de ses troupes montant à 55,000 hommes, c'est-à-dire 40,000 hommes d'infanterie de ses troupes réglées, munis de l'artillerie nécessaire, et 15,000 hommes de cavalerie, composés de trois régiments de cuirassiers, de 20 compagnies de grenadiers à cheval, de deux régiments de hussards et le reste de troupes légères, savoir de Cosaques et de Kalmouks, chacun à deux chevaux, autant qu'il faudra pour rendre complets ces 15,000 hommes de cavalerie, de sorte que le tout, infanterie et cavalerie, formera un corps complet de 55,000 hommes.

Art. 3. Sa Majesté Impériale s'engage, en outre, de faire tenir prêtes durant le temps marqué ci-dessus sur les côtes de la province susmentionnée 40 à 50 galères avec l'équipage requis, en état d'agir au premier ordre.

Art. 4. Le corps de troupes et les galères mentionnées dans les deux articles précédents ne devront être mis en activité que dans le cas où Sa Majesté Britannique ou aucun de ses alliés serait attaqué. Dans ce cas-là, le général commandant en chef ledit corps, qui pour cet effet sera muni d'avance des ordres de Sa Majesté Impériale de toutes les Russies, se mettra en mouvement, dès qu'il recevra la réquisition de la part de Sa Majesté Britannique, et fera, le plus tôt qu'il sera possible, une diversion avec un corps de 30,000 hommes d'infanterie, pourvu de l'artillerie nécessaire, et avec tous les 15,000 hommes de cavalerie susmentionnés, et embarquera en même temps les autres 10,000 hommes d'infanterie sur les 40 à 50 galères, pour faire une descente suivant 1'exigence du cas et l'utilité du service.

Art. 5. En cas que les États de Sa Majesté Britannique en Alle<194>magne soient envahis pour les intérêts ou les démêlés qui regardent ses royaumes, Sa Majesté Impériale déclare qu'elle considèrera une telle invasion comme un cas de l'alliance susdite de 1742, et que lesdits États y seront compris à cet égard.

Art. 6. En considération d'une augmentation si importante du secours stipulé par le traité d'alliance défensive mentionné ci-dessus, Sa Majesté Britannique promet et s'engage de faire payer à Sa Majesté Impériale de toutes les Russies la somme de 300,000 livres sterling par an, à compter du jour que le corps de ses troupes aura passé les frontières de ses États en conséquence de la réquisition faite par Sa Majesté le roi de la Grande-Bretagne. Cette somme sera payée à Riga et toujours quatre mois en avance par le commissaire que Sa Majesté Britannique tiendra auprès du corps auxiliaire, comme sera dit ci-après, et le premier payement s'en fera le jour que ce corps sortira des États de Sa Majesté Impériale.

Art. 7. De plus, en considération de l'utilité que les intérêts de Sa Majesté Britannique et le service commun pourront retirer du corps de cavalerie irrégulière et des galères dont Sa Majesté Impériale renforce ce secours, Sa Majesté Britannique consent de lui faire payer, outre ce qui est accordé dans l'article précédent, une somme annuelle de 50,000 livres sterling, à compter du même jour que ci-dessus et payable de la même manière. #Art. 8. Comme Sa Majesté Impériale de toutes les Russies est particulièrement intéressée à la conservation de la tranquillité du Nord et à ce qu'il n'arrive point d'innovation dans le voisinage de ses États, vu aussi la proximité des pays où la diversion dont il s'agit doit probablement se faire, et la facilité que ses troupes auront de subsister d'abord en pays ennemi, elle se charge seule, pendant une telle diversion, de la subsistance et du traitement desdites troupes par mer et par terre, comme aussi des détails qui y appartiennent.

Art. 9. Sa Majesté Impériale s'engage à continuer la diversion à faire et de ne point rappeler ses troupes, quand même elle serait attaquée par quelque autre puissance. De l'autre côté, Sa Majesté Britannique promet qu'en cas que Sa Majesté Impériale soit troublée dans ladite diversion ou qu'elle soit attaquée elle-même, Sa Majesté Britannique lui fournira d'abord le secours stipulé par le traité de 1742.

Art. 10. En cas que contre toute attente la guerre vînt à s'allumer, Sa Majesté Britannique s'engage d'envoyer dans la Mer Baltique une escadre de ses vaisseaux d'une force convenable aux circonstances, et l'amiral de cette escadre agira de concert avec l'armée impériale russienne, autant qu'elles seront à portée l'une de l'autre.

Art. 11. Pour faire les payements susdits et pour la commodité et la promptitude de la correspondance, Sa Majesté Britannique tiendra auprès du corps auxiliaire — qui sera commandé uniquement par le général que Sa Majesté Impériale mettra à leur tête, duquel dépendra<195> aussi celui qui commandera sur les galères —, un commissaire lequel, aussi bien que l'amiral de l'escadre britannique, en cas qu'il y en ait, sera toujours invité et admis aux conseils généraux de guerre et aura d'ailleurs communication de tout ce qui peut regarder le service commun.

Art. 12. Tout le butin que les troupes russiennes feront sur l'ennemi, de quelque nature et nom qu'il puisse être, restera au profit de ces mêmes troupes.

Art. 13. En cas que ces troupes auxiliaires fussent obligées de toucher dans leur marche les terres de la république de Pologne, Sa Majesté Britannique se charge du soin de leur obtenir de Sa Majesté Polonaise et de la république de Pologne le libre passage par lesdites terres.

Art. 14. Cette convention durera l'espace de quatre années, à compter du jour que les ratifications en seront échangées.

Art. 15. En cas que la paix se fît, ou que l'objet de la diversion à faire n'existât plus avant l'expiration des quatre années mentionnées ci-dessus, le susdit corps auxiliaire retournera aussi avant ce temps-là dans les États de Sa Majesté Impériale, et Sa Majesté Britannique consent qu'après le retour il jouisse de trois mois du subside accordé. Mais, dans le cas que la paix ne se fît point avant ce terme, alors les parties contractantes conviendront ultérieurement de la prolongation de cette convention.

Art. 16. La présente convention sera ratifiée p. p.


Article secret.

Comme Sa Majesté Impériale de toutes les Russies a fait représenter à Sa Majesté Britannique que la marche des troupes, tant infanterie que cavalerie, stipulées dans le traité signé aujourd'hui, vers les frontières de la Livonie, comme aussi l'artillerie, avec ce qui y appartient, dont Sa Majesté Impériale s'est chargée, et la dépense requise pour les y entretenir pendant quatre années, aussi bien que les préparatifs nécessaires pour tenir prêtes les galères durant ledit terme, ont déjà coûté et doivent coûter encore de grands frais, par-dessus ce qu'il aurait fallu autrement pour le service ordinaire de ces troupes, en considération de ce que dessus et de la grande utilité dont sera le séjour d'un tel corps de troupes dans la province susdite, pour le terme de quatre années, et pour mettre Sa Majesté Impériale d'autant plus en état d'en suppléer les frais, Sa Majesté Britannique a bien voulu s'engager par cet article de fournir la somme de 200,000 livres sterling, indépendamment du subside promis par le traité, pour ces troupes, lorsqu'elles seront en activité, de laquelle somme 100,000 livres sterling, seront payées une année après l'échange des ratifications et les autres 100,000 livres sterling à l'expiration des quatre années que ce traité doit durer : bien entendu qu'il sera libre à Sa Majesté Britannique d'envoyer, une fois chaque année, dans ladite province de Livonie un commissaire pour voir et examiner le nombre et l'état desdites troupes.


Nach dem Concept. Das Projet de convention nach der von Maltzahn unter dem 18. Decemher aus Dresden eingesandten Abschrift.



190-1 Vergl. S. 93.

190-2 Vergl. S. 189 Anm.

191-1 Vergl. S. 93.

191-2 Vergl. S. 18S.

191-3 Vergl. S. 180.

193-1 Vergl. S. 81.