6210. AU CONSEILLER DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A PARIS.

Potsdam, 12 février 1754.

La lettre que vous m'avez faite du 28 du janvier passé, m'est heureusement parvenue, et je vous sais parfaitement gré de l'attention que vous m'avez marquée en m'informant des nouvelles intéressantes que la compagnie française des Indes a reçues par rapport aux affaires de Pondichery.

Tous ces succès heureux de ladite compagnie pourraient cependant avoir des suites, par la grande jalousie qu'ils donnent aux Anglais, et, en conséquence de mes dernières lettres de Londres, la cour y prépare des armements assez considérables pour les Indes orientales et continue d'être dans l'idée que celle de Versailles, en faisant proposer la convention à faire pour terminer l'espèce de guerre entre les deux compagnies de commerce aux Indes, n'a cherché qu'à gagner du temps, pour gagner si fort le dessus que les Anglais ne seraient plus en état d'y remédier et restassent pour en être la dupe. L'on m'ajoute que les ministres anglais étaient fortifiés dans cette façon de penser d'autant qu'ils prétendaient savoir que les Français avaient fait passer de gros secours aux Indes à la sourdine, depuis le mois d'octobre dernier, et tandis qu'on négociait à Londres et qu'on était convenu du contraire.

Comme aussi d'ailleurs la cour de Londres a fait déclarer à celle de Versailles qu'elle était convaincue que les travaux que celle-ci avait fait faire à Dunkerque,242-2 étaient directement contraires aux traités, il se pourrait que ces différends [pussent] devenir un motif d'une rupture ouverte entre les deux États; aussi me marque-t-on que, quand même la négociation reprendrait vigueur et que la cour de Versailles s'expliquerait favorablement, malgré cela l'escadre de neuf à dix vaisseaux de guerre qu'on avait armée, sans compter les transports, ne laisserait<243> pas pour cela de faire voile au milieu de ce mois : enfin que, si encore les Français continuaient d'aller leur train à Dunkerque, le ministère anglais paraissait être déterminé d'augmenter bien davantage les arrangements et de ne faire moins que d'en donner part au Parlement, pour que celui-ci autorise le Roi à prendre toutes les mesures vigoureuses qu'il jugera [convenables] pour s'y opposer. C'est pourquoi aussi vous prêterez une attention particulière sur ces affaires et tâcherez de m'informer régulièrement de ce que vous en aurez appris.

Au reste, je viens d'apprendre qu'un certain abbé de Saint-Cyr doit être fort en entrée auprès du Dauphin, de sorte qu'il y a de l'apparence que, quand ce Prince succèderait un jour au trône, ledit abbé pourrait bien parvenir à jouer le rôle du feu cardinal de Fleury. Comme je crois convenir à mes intérêts que vous tâchiez de faire sa connaissance et vous lier d'amitié avec lui, en le flattant convenablement, j'ai bien voulu vous en avertir et me persuade que vous obtiendrez sa confiance d'autant plus aisément qu'il ne se trouve point encore dans son élévation, qu'il se verra flatté de votre amitié et qu'il vous en pourrait tenir compte un jour.

Federic.

Nach dem Concept.



242-2 Vergl. S. 233.