6376. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A PARIS.

[Potsdam], 25 [juin 1754].

Un petit voyage que j'ai fait à Baireuth365-1 a interrompu notre correspondance de deux jours de poste. J'ai trouvé ici à mon retour trois de vos lettres. Vous me grondez un peu dans la première, dans la seconde vous accusez la réception de ma lettre, et dans la troisième vous me mandez que vous vous préparez à voyager. Je ne puis vous dissimuler que j'en suis bien aise et que je me réjouis de revoir un homme avec lequel j'ai fait connaissance, depuis qu'il est à Paris. Votre frère a eu une petite attaque de son ancien mal, mais qui s'est assez bien passée. A présent, mon cher Milord, je me donne quelque repos après toutes les courses que j'ai faites, loin des querelles littéraires, des injures éloquentes et de tout le sabbat du Parnasse. Algarotti a pris le large d'un autre côté, il se marie à Venise et il veut s'y faire un établissement. Toutes ces gens parlent de sentiments, sans en avoir, ce sont des geais parés des plumes du paon, qui à force de faire la roue se persuadent que leur plumage est à eux. Je ne sais, mais je crains fort que d'Alembert ne morde pas à l'hameçon;365-2 on dit qu'il est si philosophe qu'à moins d'une persécution de la part des prêtres, il n'abandonnera pas sa patrie, quelque ingrate qu'elle soit envers lui. L'Allemagne a illustré la France par un héros bâtard qui l'a sauvée<366> cette dernière guerre; il serait juste que la France illustrât le Parnasse germanique par un autre bâtard,366-1 qui dans son genre nous ferait autant d'honneur que le comte de Saxe en a fait aux Français. Mais ces sortes de trocs ne se font pas à commande, et le hasard y a plus de part que le choix. Adieu, mon cher Milord, soyez sûr d'être reçu ici à bras ouverts, je vous embrasse mille fois d'avance.

Federic.

Nach der Ausfertigung. Eigenhändig.



365-1 Der König verweilte in Baireuth vom 18. bis 22. Juni.

365-2 Vergl. S. 331.

366-1 D'AIembert als Bastard der Frau von Tencin und des Dichters Destouches.