6658. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A VIENNE.

Potsdam, 22 février 1755.

Quoique vous ayez eu de nouveaux chiffres, tant pour la correspondance avec moi qu'avec mes ministres, pendant votre dernier séjour à Neisse,62-3 j'ai trouvé bon cependant de vous faire adresser ci-clos d'autres chiffres, dont vous vous servirez dès à présent pour les susdites correspondances. Ce n'est point que je veux croire que les premiers ont été trahis, mais il m'a pourtant extrêmement surpris, quand j'ai appris de très bon lieu que la cour où vous êtes a été instruite d'une anecdote bien intéressante que je vous avais communiquée dans le dernier secret par une de mes dépêches du mois d'octobre de l'année passée.62-4 C'est donc pour n'avoir point des appréhensions sur la sûreté de vos chiffres, que je vous fais munir des nouveaux, sur lesquels je vous recommande d'avoir un soin extrême et d'observer surtout que celui qui vous doit servir pour la correspondance immédiate avec moi,<63> ne sorte jamais d'entre vos mains. Il serait inutile de vous recommander encore de prendre toutes les sûretés imaginables sur vos cassettes ou bureaux où vous serrez vos chiffres et vos papiers de conséquence, afin qu'il n'y puisse arriver quelque malheur par une main traîtresse, vu que je connais votre dextérité, et que la longue expérience que vous avez, vous fera assez aviser aux moyens sûrs pour ne pas avoir à craindre de pareils inconvénients.

Federic.

P. S.

Voici ce que nous venons d'apprendre de nouvelles de Constantinople par le secrétaire d'ambassade de la cour de Suède63-1 auprès de son ministre à la Porte, le sieur de Celsing, qui a passé par Berlin pour se rendre en toute diligence à Stockholm, chargé des dépêches de ce ministre et de la lettre de notification du nouveau Grand-Seigneur au roi de Suède sur son avènement à l'Empire ottoman, et qui est parti le 20 du mois passé de Constantinople, ayant pris sa route par la Pologne. Selon son récit, le nouveau Grand-Seigneur est un prince de cinquante huit ans, étant né l'année 1697, d'une constitution assez robuste et vigoureuse, ambitieux, ferme et fier, pour ne pas dire un peu farouche. Il paraît assez vouloir gouverner par lui-même, et ayant étudié pendant sa longue retraite l'histoire de ses ancêtres, il s'est proposé le grand Soliman Ier pour modèle de son gouvernement.63-2

Ses principaux soins ont été, du jour qu'il a été proclamé empereur, à régler les finances et à redresser les abus qui s'y étaient glissés par la nonchalance de son prédécesseur, quoique le dernier lui ait laissé des trésors immenses en argent comptant. Il a averti les principaux officiers de l'empire d'être sur leurs gardes et de s'abstenir de toutes les sortes de prévarications. Il a aussi d'abord ordonné qu'on remplît avec toute la promptitude imaginable les arsenaux de mer et de terre qui sont à Constantinople, et qu'on avait fort négligés jusqu'ici.

Les ordres ont été donnés également de réparer incessamment tous les grands chemins et les routes militaires que les troupes sont obligées de tenir, avec les étappes; le susdit secrétaire a vu lui-même, à son passage par la Moldavie, qu'on y travaillait.

Le sultan Osman a, à la vérité, confirmé à son avènement au trône tous ceux qui étaient dans les premières charges et places de son empire, mais cela n'a pas duré longtemps. Il a commencé par déposer le Mufti, dont il a découvert les intrigues et le penchant pour son cousin, qu'il aurait voulu mettre sur le trône à sa place, s'il avait pu. Le Cadileskier, ou un des principaux chefs de la loi, a été déposé également. Le Grand-Visir63-3 aura en peu le même sort, et ce Prince a destiné le bâcha de Trébizonde pour lui succéder, dès qu'il trouvera a propos de se défaire du premier.

<64>

Jusqu'ici, on n'avait pas pu pénétrer encore les véritables vues et la façon de penser du nouveau monarque; que l'on avait dans le gouvernement précédent caché soigneusement au souverain et au peuple les entreprises de la Russie, ses nouveaux établissements dans l'Ukraine et la construction du fort Sainte-Elisabeth,64-1 mais qu'on n'en imposerait pas longtemps au nouveau Grand-Seigneur, et que, selon toutes les apparences, il ne resterait pas les bras croisés.

Ledit secrétaire a rencontré en chemin dans la Moldavie les trois émissaires turcs que la Porte envoyait aux cours de Vienne, de Pétersbourg et en Pologne.64-2

Les ministres étrangers à Constantinople ont fait la remarque que le Grand-Seigneur a choisi, peut-être exprès, les moindres en dignité tels que les deux émissaires envoyés aux deux cours impériales, qui ne sont que des simples defterdars ou commis de la trésorerie, tandis que ce Prince envoie un Capigi-Bacha, qui est autant que chambellan et d'un caractère beaucoup plus relevé et distingué en Turquie, en Pologne, pour témoigner combien ce Prince distingue la République, tandis qu'il veut montrer de l'indifférence pour les cours de Russie et de Vienne, en leur envoyant des ministres d'un rang fort inférieur à celui qui va en Pologne.

Ce n'est que pour votre seule direction que j'ai bien voulu vous communiquer tout ce que [dessus], afin que vous soyez d'autant mieux à même d'observer la contenance que la cour où vous êtes tient à cet égard, et d'approfondir sa façon de penser là-dessus. Pour le reste, je vous [ordonne] de ne point parler de ce que je vous ai communiqué, et surtout de ne pas faire semblant seulement que c'est du secrétaire susdit que ces informations nous sont venues.

Federic.

Nach dem Concept.



62-3 Vergl. Bd. X, 409.

62-4 Vergl. Bd. X, Nr. 6495.

63-1 Vergl. Nr. 6656.

63-2 Vergl. S. 51.

63-3 Mustafa.

64-1 Vergl. S. 56.

64-2 Ali Aga nach Polen, Derwisch Effendi nach Petersburg, Chalil Effendi nach Wien.