6707. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A PARIS.

Potsdam, 29 mars 1755.

Votre dépêche du 17 de ce mois m'est heureusement parvenue. A juger de ce que les dernières lettres de Londres nous ont annoncé,98-3 il paraît hors de doute que la rupture entre la France et l'Angleterre est inévitable.

Nous avons appris que le contre-projet en forme que le ministère anglais a remis à M. de Mirepoix, est tel qu'au jugement que cet ambassadeur en a fait lui-même, la France ne l'acceptera jamais et qu'en conséquence l'on a tout lieu de craindre que la négociation n'échoue. Que le ministère anglais, en armant aussi furieusement qu'il l'a fait et qu'il le fait continuer encore, avait tant échauffé la nation qu'il se voyait à présent hors d'état de traiter avec aisance avec le duc de Mirepoix, et que les susdits ministres s'étaient autant enfilés qu'ils n'étaient plus les maîtres de faire quelque chose de raisonnable avec la France, à moins qu'elle ne leur accordât des avantages dont ils sauraient faire montre à la nation pour répondre aux frais de l'armement et à la supériorité que la nation se persuadait avoir sur la France; enfin, que les ministres s'étaient avancés au point qu'ils ne sauraient plus reculer, ni s'en tirer, sans s'exposer à des recherches et de perdre leurs charges.

J'ai d'ailleurs appris de lieu sûr que le ministère anglais vient de songer à prendre des engagements pécuniaires avec la cour de Péters<99>bourg, et même également avec celle de Vienne, et que les ordres sont donnés aux ministres anglais auprès de ces cours de leur faire les insinuations qu'on était prêt de leur donner des subsides, pour peu que les choses seraient portées à l'extrémité avec la France.

Comme j'apprends d'ailleurs qu'on commence à compléter et à augmenter les régiments nationaux en Angleterre, et qu'au surplus les ordres sont donnés à Hanovre de recruter et d'augmenter tous les régiments de cet électorat, je crois qu'il sera bon et nécessaire que vous informiez M. de Rouillé, à la première occasion que vous aurez, de toutes ces nouvelles qui me sont parvenues, et que vous lui fassiez entendre en même temps si l'on ne songerait pas en France de mettre aussi en état les forces de terre, pour n'avoir pas à craindre quelque surprise de ce côté-là.

Car l'on doit raisonnablement présumer que la guerre, une fois commencée, soit en Amérique soit par mer, ne laissera pas de se communiquer bientôt en Europe aux frontières de la France, surtout si l'Espagne, pour ne pas laisser devenir les Anglais maîtres souverains en Amérique et ne pas avoir à craindre le bénéfice de Polyphème, joint ses forces navales à celles de la France,99-1 ou si les succès des Anglais ne sont pas aussi heureux qu'ils les voudraient, puisqu'alors l'Angleterre voudra indubitablement faire faire des diversions par terre à la France pour partager ses forces et la mater au possible.

Quant à ce qui regarde les nouveaux soupçons que le prince de Würtemberg99-2 a donnés contre la droiture de ses intentions vis-à-vis de la France, j'ai été bien aise qu'il se soit vu obligé au moins par là de faire telles sincérations que vous me les avez marquées.99-3 Je n'oserais pas cependant m'y fier absolument, vu l'humeur légère et inconstante que je connais à ce Prince, et que malheureusement il prend souvent un mauvais parti dans ses résolutions.

J'ai appris, au reste, avec satisfaction que le maréchal de Lœwendahl s'est rendu à sa terre La Ferté, pour faire tomber les bruits qui ont couru sur son sujet. Je me persuade qu'il abandonnera lui-même le dessein qu'il avait pris de quitter la France, et, dans ce cas-là et s'il ne parle plus de son congé, vous ne toucherez aussi rien de tout ce que je vous avais ordonné de dire sans cela à son sujet.99-4

Federic.

Nach dem Concept.

<100>

98-3 Vergl. Nr. 6705.

99-1 Vergl. Bd. X, 540.

99-2 Vergl. S. 94.

99-3 Knyphausen berichtet, Paris 17. März: „Le Prince a fortement assuré que ces soupçons étaient tout-à-fait destitués de fondement, et qu'il n'avait jamais eu la pensée de passer au service de l'Impératrice-Reine. Il a même promis que rien ne le déterminerait jamais à prendre cette résoluton, en ajoutant qu'il était très disposé à rester dans ce pays-ci, pourvu que son frère voulût augmenter la pension qu'il lui donne, et le mettre en état d'y vivre honorablement et selon son rang.“

99-4 Vergl. S. 92.