6733. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A PARIS.

Potsdam, 12 avril 1755.

Vos dépêches du 31 de mars me sont heureusement parvenues. Vous ne devez point soupçonner du mystère, quand le Grand-Seigneur<119> n'a point envoyé d'ambassadeur en France pour notifier son avènement au trône, et la raison que M. de Rouillé vous a indiquée là-dessus, est exactement conforme à la vérité; c'est aussi pourquoi le ministre de Suède, le sieur de Celsing, a agi de même à cet égard, afin de détourner pareillement de sa cour les frais exorbitants que de pareilles ambassades occasionnent.

J'ai ordonné à mes ministres de vous instruire plus en détail encore des raisons qui font qu'on aime bien d'être dispensé de ces sortes d'ambassades.119-1 D'ailleurs, il faut que vous sachiez que ce qu'on nomme ambassadeurs qui sont envoyés aux deux cours impériales et au roi de Pologne,119-2 ne sont proprement que des émissaires, dont ceux qui sont envoyés aux deux cours impériales, ne sont que de simples commis de la trésorerie, au lieu que celui qui a été envoyé en Pologne, est autant que chambellan du Sultan et d'un caractère bien plus relevé que les deux autres, sur quoi on a observé que ce Prince a fait ce choix tout exprès par distinction pour la république de Pologne, tandis qu'il a voulu montrer son indifférence pour les deux cours susdites en leur envoyant des ministres d'un rang fort inférieur à l'autre. Au reste, les instructions de ceux-ci portent, à ce qu'on dit, qu'ils ne doivent absolument entrer avec les deux cours en aucune affaire. Au surplus, je suis informé de bon lieu que le Grand-Seigneur est très bien intentionné pour la France, et, comme le nouveau grand-visir Ali-Bacha est ennemi juré des Autrichiens,119-3 qui ont travaillé autrefois à sa perte, vous pouvez compter que tout ce que la cour de Vienne voudra faire de manèges à Constantinople, n'aboutira à rien.

J'ai été bien [aise] d'apprendre par vous que les ministres n'ont point voulu prêter l'oreille aux insinuations que la Saxe leur a fait faire pour avoir des subsides de la France. Comme les raisons que les ministres ont eues pour n'y point faire attention, [sont justes], et que l'argent que la France donnerait pour cela, serait autant que jeté dans l'eau, mon intention est, et je vous le recommande extrêmement, de fortifier bien le sieur de Rouillé dans la résolution à ne point écouter ces propositions de la part de la Saxe.

Ce qui me fait, au reste, bien de la peine de voir par votre dépêche, c'est que les ministres de France agissent si mollement relativement aux Anglais119-4 comme s'ils étaient faits du coton, et j'en appréhende<120> qu'ils n'en rendent les Anglais si fiers qu'ils voudront leur prescrire des lois les plus impertinentes, et qu'au bout du compte, quand il n'aurait rien effectué par leur lâcheté, ils en resteront plantés là, sans en avoir rien effectué. Ce que je ne vous dis cependant que pour votre seule direction. Continuez, en attendant, à me faire des rapports aussi intéressants que vous l'avez fait jusqu'ici à mon entière satisfaction.

Federic.

Nach dem Concept.



119-1 Vergl. Nr. 6731.- Die Minister setzen Knyphausen, Berlin 12. April, in Kenntniss, die Pforte pflege nur an die nächsten Nachbarn Gesandte zu schicken. „Si elle s'est écartée quelquefois de cette règle et quelle a tenu ci-devant quelque émissaire en France, cette civilité, bien loin d'avoir été avantageuse pour cette couronne, lui a été fort préjudiciable, puisque l'expérience du passé a fait voir qu'il est presqu'impossible de satisfaire l'avidité des ministres turcs aux cours étrangères, trop après l'argent, et que, quoique comblés de politesses et de largesses, ils sont parti la plupart très mécontents et ont fait en suite contre la cour où ils ont residé, à leur souverain les insinuations les plus malicieuses.“

119-2 Vergl. S. 85.

119-3 Vergl. S. 85. 86.

119-4 Vergl. S. 114.