<70>fait livré à la dissipation et étant peu sensible à la gloire, redoute la guerre comme une calamité qui appesantirait considérablement un fardeau qu'il se sent incapable de porter. Le ministère auquel il accorde sa confiance, est peu éclairé sur les véritables intérêts du royaume, souvent divisé sur ce qui les concerne, peu capable de résolution et animé continuellement par cet amour immodéré de la paix qu'il puise dans la soumission aveugle qu'il a pour les volontés de son maître, et que nourrit le sentiment de sa propre faiblesse et de sa dépendance. Ce même Conseil est dirigé par une femme qui a un intérêt tout-à-fait particulier au maintien de la paix,1 et qui ne peut pas manquer d'avoir la plus grande répugnance pour tout ce qui peut suspendre les plaisirs et l'inaction du Roi sur lesquels sont fondés son crédit et son existence à la cour. Tel étant le tableau du gouvernement actuel français, il est certain que les alliés de la France ne peuvent prendre aucune confiance en elle dans le moment présent. Sa conduite même prouve qu'elle ne fera la guerre qu'autant qu'elle y sera forcée, et qu'elle ne la continuera que par nécessité, sans faire beaucoup d'attention à ses alliés. Il n'est donc pas douteux que de tous les partis que Votre Majesté pourrait prendre dans la conjoncture présente, celui de la neutralité ne soit le plus conforme à Ses intérêts et à Sa sûreté. Mais comme d'un autre côté les vices dont je viens de faire mention, ne sont qu'accidentels au gouvernement de France, et que le temps peut changer les goûts du Roi et occasionner dans le ministère des révolutions considérables qui pourraient en peu élever la France à ce point de gloire et de grandeur dont elle est déchue, je crois qu'il est de l'intérêt de Votre Majesté de ne point sacrifier un allié aussi puissant à des avantages momentanés, et par la même raison je prends la liberté de Lui conseiller de ne point conclure Sa négociation avec l'Angleterre à l'insu de la France, mais de travailler dans l'intervalle à disposer cette dernière à donner son consentement à la neutralité de l'Allemagne. Je suis persuade qu'il ne serait rien moins qu'impossible de l'obtenir, et les raisons suivantes me déterminent à former cette conjecture. Primo; la France paraît déjà avoir renoncé depuis quelque temps au projet qu'elle avait formé de disposer Votre Majesté à une invasion dans le pays d'Hanovre.2 Elle sent elle-même, et j'ai eu soin de le faire apercevoir plus d'une fois au ministère de France, qu'on n'est point en droit d'exiger une pareille démarche de Votre Majesté, parceque Ses traités avec la France sont purement défensifs et qu'une pareille entreprise La commettrait non seulement avec tous les alliés de l'Angleterre, qui sont puissants et en grand nombre, mais qu'Elle pourrait armer aussi tout l'Empire contre Elle. La France n'a donc à ce sujet que des lueurs d'espérance bien faibles, et Votre Majesté verra que le duc de Nivernois n'insistera pas sur ce point avec une certaine chaleur. Secundo : ceux qui ont le plus de crédit sur l'esprit du ministère de France, lui représentent souvent qu'une invasion dans le pays d'Hanovre, soit qu'elle fût formée par des troupes françaises ou par des troupes alliées, ne serait jamais qu'une diversion passagère et que le succès n'en influerait que faiblement sur la pacification des différends qui subsistent entre la France et l'Angleterre … Le ministère paraît donc avoir entièrement renoncé à cette idée, et il semble, par tous les arrangements qu'on vient de prendre, qu'on se bornera uniquement, si la guerre a lieu, à l'exécution du projet présenté par le maréchal de Belle-Isle,3 sans faire aucune autre levée de boucliers, ni en Allemagne, ni ailleurs. Telle étant donc la façon actuelle de penser de la cour de France, il ne se présente aucune raison qui pourrait lui inspirer la moindre répugnance pour la neutralité de l'Allemagne. Une pareille ligue la mettrait en état de tourner tous ses moyens et toutes ses forces contre la seule Grande-Bretagne, et il est certain que, tant que la guerre sera restreinte aux cours de France et d'Angleterre, la pacification de leurs différends sera beaucoup moins difficile que lorsque d'autres puissances se trouveront entraînées dans leur querelle. Ce dernier point me confirme donc dans l'opinion où je suis, qu'une pareille proposition ne serait nullement désagréable ni au Roi, ni à Madame de Pompadour, ni au maréchal de Noailles, ni au“



1 Vergl. Bd. XI, 168. 372. 410.

2 Vergl. Bd. XI, 479.

3 Vergl. S. 44.