7365. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A VIENNE.

Potsdam, 20 mars 1756.

J'ai reçu votre rapport du 10 de ce mois. Ayant appris des particularités bien intéressantes du chipotage secret qui a subsisté jusqu'à présent entre les cours de Versailles et de Vienne,208-1 je veux bien vous en faire part, quoique absolument pour votre direction seule et afin de vous mettre sur la voie de pénétrer d'autant mieux dans les vues de la cour où vous êtes.

C'est elle, en conséquence de mes avis, qui a donné les premières notions à la France de la convention que j'avais arrêtée avec l'Angleterre, et qui, en haine de cette démarche, a fait toutes les mauvaises insinuations possibles à la cour de France sur ce sujet, tout comme le comte de Kaunitz l'a fait envers le marquis d'Aubeterre pour le gagner. Les motifs qu'elle a employés pour éblouir la France, ont été que, par l'alliance prétendue que j'avais faite avec l'Angleterre, je n'avais plus rien à craindre du côté de la Russie, et que, par conséquent, je profiterais de la première conjoncture favorable qui se trouverait pour tourner mes armes contre l'Empire et travailler à mon plan d'agrandissement que j'avais conçu de longtemps; que, l'Europe étant menacée d'une guerre générale, il ne saurait manquer qu'au moyen des sûretés que j'avais su me ménager par ma convention de neutralité, je ne susse trouver un moment favorable d'accomplir mes desseins et que la France<209> aurait à considérer s'il était de son intérêt qu'une nouvelle puissance en Europe s'élevât qui, pour peu qu'elle accroîtrait des forces, se mettrait infailliblement dans une indépendance totale et deviendrait tout aussi formidable à l'Allemagne que l'avait été l'ancienne maison d'Autriche, et que, bien loin que la France dût conniver à mon agrandissement ultérieur, le maintien du système qu'elle avait adopté pour la balance du pouvoir en Allemagne, exigeait qu'elle me tînt dans les bornes où j'étais renfermé actuellement, sans permettre qu'on leur donnât plus d'étendue, et comme l'intérêt de la France étant conforme sur ce point à celui de l'Autriche, il semblait être de la convenance dans la conjoncture présente de prendre des mesures communes, pour empêcher que je ne puisse parvenir à mes fins pendant la durée des troubles entre la France et l'Angleterre. Sur quoi, le ministère autrichien a proposé à celui de France à prendre des engagements avec la cour de Vienne au moyen d'un simple traité d'union et d'amitié, où on stipulerait cependant la neutralité des Pays-Bas et, encore dans un article secret, le consentement de la France à l'élection de l'Archiduc aîné dans la qualité de roi des Romains. On ne m'a pu point apprendre jusqu'à présent à quel point cette négociation, à laquelle la cour de Vienne prétend mettre pour base cette union, a pu être avancée, mais je sais pour certain qu'elle répugne beaucoup à la plupart des membres du conseil du roi de France, qui trouvent trop palpables les prétextes, quelque spécieux qu'ils soient, dont la cour de Vienne se sert pour colorer ses propositions, pour se méprendre sur les vrais intérêts de la France et sur les motifs qui l'ont portée à cette démarche.

Par tout ceci, l'on voit assez clairement ce qui a si irrité et aigri ladite cour contre moi à l'occasion de ma convention faite, puisqu'elle a vu échouer par là son grand dessein de faire élever contre moi la Russie et l'Angleterre et tout ce qu'elle aurait pu trouver d'autres amis, mais que, se voyant déchue de ces espérances, elle a voulu se tourner vers la [France], pour l'irriter contre moi; mais ce qui apparemment ne lui réussira pas.

Vous devez, en attendant, veiller de l'attention la plus grande et la plus scrupuleuse sur toutes ses démarches et sur ce qu'elle prend d'arrangements.

Federic.

Nach dem Concept.



208-1 Bericht Knyphausen's, Paris 8. März. Vergl. Nr. 7366.