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témoigner sa surprise de ce que le roi de Prusse demandait une explication au sujet des mesures qu'on prenait en Autriche, après que l'on n'y avait pourtant témoigné aucune inquiétude ni ombrage des grands mouvements qu'on avait remarqués le premier dans l'armée de ce Prince. Ce ministre autrichien, étant allé immédiatement après à Schönbrunn, a réfléchi chemin faisant sur la réponse qu'il conseillerait à sa souveraine de donner au sieur de Klinggræffen, et, ayant cru entrevoir que le roi de Prusse pouvait, en faisant cette démarche, avoir deux objets en vue qu'on voulait éviter également, savoir d'en venir à des pourparlers et des éclaircissements qui causeraient d'abord une suspension des mesures nécessaires qu'on était résolu de continuer avec vigueur, ou bien d'amener les choses plus loin et à d'autres propositions et engagements plus essentiels, il a jugé que la réponse à donner devait être d'une nature qui éludât entièrement la question du roi de Prusse, fût en même temps ferme et polie, sans être susceptible d'une interprétation sinistre ni favorable; qu'il suffirait pour cela que l'Impératrice-Reine se contentât de répondre simplement: que, dans la forte crise générale où se trouvait à présent l'Europe, il était de son devoir et de la dignité de sa couronne de prendre des mesures suffisantes pour sa propre sûreté aussi bien que pour celle de ses amis et alliés,1 Que l'Impératrice avait entièrement approuvé cette réponse, et, ayant d'abord fixé l'audience au lendemain, afin de montrer que la demande et la démarche du roi de Prusse ne lui causaient pas le moindre embarras, elle avait répondu au sieur de Klinggræffen précisément dans les termes susdits et avait ensuite rompu, par un signe de main, tout d'un coup l'audience, sans entrer dans un plus grand détail. On ne doute pas à Vienne que cette réponse aussi énergique qu'obscure n'embarrasse beaucoup le roi de Prusse, qui devait être dans de grandes inquiétudes, et on présume que le but qu'il s'était proposé par la demande susmentionnée, avait probablement été que, si l'on eût répondu que c'était lui qui avait occasionné lui-même ces armements par ceux qu'il avait fait le premier, il aurait tâché de se disculper en alléguant pour preuve que c'était pour cette raison-là qu'il n'avait pas assemblé les camps qu'il avait fait tracer pour exercer ses soldats, et qu'il avait ordonné même aux régiments de se séparer, s'imaginant sans doute qu'il mettrait par là la cour de Vienne dans la nécessité de suivre son exemple en discontinuant également ses préparatifs. On croit, cependant, que le roi de Prusse aura bien de la peine à détourner la cour de Vienne de son dessein par ces sortes d'illusions. L'on croit qu'il est nécessaire de poursuivre sans interruption les mesures commencées, afin de se mettre, dans les circonstances présentes, à deux de jeu avec lui et en si bon état que ce Prince soit obligé, pour soutenir les armements et augmentations faites qui surpassent ses forces, ou de se consumer à petit feu, ou, pour prévenir cet inconvénient, de se laisser aller à des résolutions précipitées, et il semble2 que c'est précisément là où l'on l'attend. Il est à croire que, s'il se croyait menacé, il ne tardera plus à porter des coups et à prévenir ceux qu'il craignait, pour profiter de la situation où l'Autriche se trouverait encore jusqu'à la fin d'août; mais que, si d'un autre côté ce Prince reste tranquille, on est persuadé qu'il ne serait point attaqué ni inquiété du moins cette année, puisqu'il est bien sûr que jusqu'ici il n'y a aucun concert, encore moins de plan de fait, soit avec la France soit avec la Russie, pour envahir les États du roi de Prusse. Par tout ce qu'on remarque, il paraîtz cependant que la cour impériale doit être bien sûre de l'amitié et de l'attachement de la Russie. Tout semble dépendre présentement de la résolution que prendra le roi de Prusse, étant certain que, s'il se tient en repos, la cour de Vienne ne commencera non plus rien, du moins cette année, mais elle tâchera d'achever ses préparatifs dans cet intervalle pour se trouver en état l'année prochaine de prendre un parti convenable selon les circonstances et les évènements. J'ai3 appris d'un ami qui en peut être au fait, que la cour de Vienne doit avoir fait passer un million de florins en Russie. L'on4 prétend avoir reçu avis que le roi de Prusse avait eu des-



1 Vergl. Nr. 7795.

2 Seil. „au comte Flemming“ .

3 Flemming.

4 Kaunitz.