<61> Votre Majesté d'avoir marqué à la France en cette occasion, et le moment qu'Elle a choisi pour Se porter à cette démarche, ont entièrement aliéné à Son égard le ministère de France et toute la nation. Le Roi en a eu le coeur ulcéré au delà de toute expression, et il est certain que, sans cet évènement, le système qu'on vient d'établir, et qui avait été rejeté en 1751 et depuis à différentes reprises,1 n'aurait jamais eu lieu. J'ajouterai cependant que, comme l'alliance qu'on vient de former avec la maison d'Autriche, est sujette à de grands inconvénients, dont on ne tardera pas à s'apercevoir, qu'elle est antipathique à toute la nation et qu'elle répugne à plusieurs membres du conseil, il pourrait bien arriver qu'on en revînt après la fin de la guerre présente à l'ancien système, principalement si Votre Majesté Se comporte avec modération et qu'Elle ne marque aucun ressentiment envers la France. J'estime donc que, si Votre Majesté est d'opinion que l'alliance de la France Lui soit avantageuse, rien ne saurait mieux L'éclaircir sur les vraies dispositions de cette cour, ni La justifier davantage dans l'esprit du ministère que la proposition du renouvellement de Son traité d'alliance défensive dont j'ai fait mention dans mes précédents et très humbles rapports. On pourrait même sonder le ministère de France indirectement à cet égard et de manière à ne point commettre Votre Majesté, ni L'exposer à un refus. — Secundo, pour ce qui concerne la façon actuelle de penser du ministère de France à Son égard, je ne dois point laisser ignorer à Votre Majesté que ceux qui ont été les promoteurs du nouveau système, ont allégué pour leur justification les motifs suivants: que Votre Majesté était un prince en lequel la France ne saurait sans danger placer sa confiance; que, dans toutes les occasions où cette cour se trouverait exposée, Elle lui tournerait te dos, ainsi qu'Elle l'avait fait en dernier lieu, et qu'Elle l'avait déjà abandonnée d'autres fois; que les alliances qu'on pourrait contracter avec Votre Majesté, seraient donc non seulement inutiles pour la France, mais même dangereuses, attendu que la haine implacable que la maison d'Autriche avait vouée à Votre Majesté, jointe à la dureté avec laquelle Elle traitait tous Ses voisins, armeraient tôt ou tard l'Allemagne contre Elle et pourraient y susciter une guerre dont la France partagerait les risques et les frais, sans pouvoir en retirer aucune utilité. Ce poison, qu'on a répandu avec adresse, et dont les esprits sont maintenant assez généralement imbus, n'est pas le seul dont on ait fait usage contre Votre Majesté; on a ajouté au raisonnement que je viens de rapporter, que les deux tiers de la puissance de Votre Majesté consistaient dans Ses qualités personnelles, dans Son courage, Son activité, Son amour pour le travail, l'application avec laquelle Elle gouvernait Son royaume; que l'armée qu'Elle avait actuellement sur pied, était supérieure à l'étendue et à la population de Ses États, qu'Elle ne saurait la recruter en temps de guerre; que, par Ses finances, Elle n'était d'ailleurs pas en état de pouvoir soutenir la guerre au delà d'un temps fort court, après lequel Elle serait à la charge de Ses alliés; que, la puissance actuelle de Votre Majesté étant donc plutôt artificielle et personnelle qu'inhérente à Ses États, Elle n'était point un allié sur lequel on pût fonder un système stable et permanent, tel qu'il convenait que l'eût une puissance comme la France. Enfin, d'autres ont observé que la puissance de Votre Majesté était parvenue au période où il était désirable qu'elle restât pour les intérêts de la France, qui, en L'aidant à S'agrandir et à acquérir la Silésie, n avait eu d'autre but que de former un contre-poids en Allemagne qui pût tenir en équilibre la balance du Corps Germanique contre les usurpations de la maison d'Autriche; que, cet équilibre étant donc une fois établi et modifié d'une façon avantageuse pour la France, il ne serait pas conforme à la prudence de s'exposer à le déranger ou à le détruire, en aidant Votre Majesté à Se fortifier et à faire de nouvelles conquêtes. — Je passe maintenant au dernier article de la lettre susalléguée de Votre Majesté, par lequel Elle me demande des éclaircissements sur la façon actuelle de penser de Madame de Pompadour, du sieur de Machault et du maréchal de Belle-Isle à Son égard. La première a toujours regardé Votre Majesté comme un prince extrêmement hardi et entreprenant, et qu'elle a redouté à différents égards, non seule-“



1 Vergl. Bd. XII, 179.