7821. MÉMOIRE REMIS AU MINISTRE DE LA GRANDE-BRETAGNE MITCHELL A BERLIN.

[Potsdam, 9 août 1756.]191-3

Par les nouvelles qui nous reviennent, il parait assuré que la France veut tenter encore cette année une descente sur les trois royaumes britanniques. Il faut espérer que les bonnes mesures qu'a prises<192> le gouvernement anglais, feront échouer cette expédition. On sait que l'escadre du bailli de Conflans est de 13 vaisseaux de ligne, auxquels se doivent joindre 12 de l'escadre de Brest, le tout faisant 25 vaisseaux. Comme l'on sait que la flotte anglaise de La Manche est bien supérieure à celle des Français, que les meilleurs amiraux la commandent, qu'ils sont avertis des desseins de leurs ennemis et qu'ils pourront les ruiner, on croit pouvoir être en repos sur cet article. Cependant, on prie le ministère de ne point négliger l'avis qu'on leur a donné d'intelligences secrètes que le maréchal de Belle-Isle a en Angleterre, et qui, si elles sont telles que les Français les débitent sous main, seraient capables de mettre le roi d'Angleterre dans de terribles embarras.192-1

Les affaires de terre ne sont pas dans un moindre état de crise. La Prusse a communiqué à la cour de Londres en quels termes elle se trouve avec l'Impératrice-Reine. Selon toutes les meilleures nouvelles de Vienne, la rupture paraît inévitable. On s'en rapporte d'ailleurs à la réponse de la cour de Vienne qui décidera de la paix ou de la guerre, et qui sera communiquée fidèlement à Sa Majesté Britannique, de même que tout ce qui se passera ultérieurement.

L'on peut prévoir que les troubles de l'Allemagne et peut-être l'expédition des Français, manquée sur l'Angleterre, obligeront la France<193> de transporter l'année qui vient la guerre sur le continent, ce qui doit donner la plus grande attention aux cours de Londres et de Berlin, pour n'être point prises au dépourvu de ce côté-là.

On se rappellera sans doute qu'on avait proposé de faire une alliance avec la république de Hollande et de l'encourager en même temps de se mettre dans une situation plus respectable qu'elle ne se trouve à présent. Puisque donc les deux cours sont également intéressées à cet objet, l'on se persuade que le moyen le plus efficace d'y parvenir, serait d'instruire les ministres des deux couronnes193-1 du dessein qu'elles ont de faire une alliance défensive avec la République, de la porter à faire une augmentation de 30,000 hommes de troupes de terre, et, par rapport à l'Angleterre, d'exiger le secours d'un nombre de vaisseaux etc.193-2 Que l'on ne gênerait point ces ministres, quant au choix des moyens qu'ils jugeront à propos d'employer pour cette fin, mais que ce serait à eux de se concerter avec les Hollandais bien intentionnés pour arranger leur plan sur leurs avis et pour le mettre de concert en exécution. Il est à croire que des personnes qui voient par leurs yeux, qui savent la façon de penser de la nation où ils se trouvent, et qui se servent de la boussole de gens bien intentionnés pour se guider, réussiront infailliblement dans leurs desseins.

On a appris par un émissaire, revenu de la Lombardie, que les Autrichiens et les Français y sont extrêmement attentifs aux mouvements du roi de Sardaigne. Ceci fait croire que, si ce Prince débitait simplement la nouvelle de quelque augmentation dans son militaire — quand même il ne le ferait pas — cela tiendrait les troupes autrichiennes de la Lombardie et les troupes françaises du Dauphiné et de la Provence en échec et produirait ce bien que ce serait autant moins d ennemis à craindre pour l'Allemagne.

Il résulte de toutes les nouvelles qui viennent de Pétersbourg, que le Grand-Chancelier aura peut-être assez de crédit pour empêcher la conclusion d'un traité entre sa maîtresse et la France, mais il paraît sur qu'ils se mêleront de la guerre que la reine de Hongrie veut faire à la Prusse. Dans cette situation, l'Angleterre n'a aucune espèce de secours à attendre de la Russie, elle apprendra même que la Russie fera la guerre aux alliés de l'Angleterre, ce qui fait penser que, si les subsides destinés pour cette cour étaient répandus à Brunswick, Cassel, Gotha et chez le prince de Darmstadt, l'Angleterre en retirerait dans la crise présente un avantage plus réel pour la défense des États d'Hanovre.

On a fait un calcul par lequel il est clair — l'augmentation et l'alliance conclue en Hollande — que le roi d'Angleterre pourra disposer dans l'Empire d'une armée de près de 80,000 hommes. Ce sont des efforts, il est vrai, qui tomberont sur le gouvernement anglais; mais<194> les Français en feront-ils moins? On est sûr qu'ils craignent la guerre de terre,194-1 d'une part par la dépense immense que leur coûtent leur flotte et cette armée dont l'entretien serait très coûteux, d'autre part par des raisons de cour et des intérêts particuliers de certaines personnes194-2 qui craignent que, la guerre étant sur le continent, le roi de France ne voulût encore se présenter à la tête de ses armées; mais, malgré ces raisons que l'on vient d'alléguer, il n'est pas douteux que, si la France essuie un grand échec sur mer, elle ne reprenne ses desseins sur l'électorat d'Hanovre, à quoi elle est excitée par la cour de Vienne, qui, désirant les troubles de l'Allemagne, n'épargnera rien pour y embarquer la France le plus avant qu'elle pourra.

On se rappelle à cette occasion qu'il avait été fait mention de la Porte Ottomane dans le dernier mémoire,194-3 et comme il paraît que la délicatesse de Sa Majesté Britannique serait blessée des insinuations que le sieur Porter pourrait faire à Constantinople contre la cour de Pétersbourg, il paraît qu'il y aurait un autre chemin à prendre par lequel on parviendrait à la même fin, qui serait de représenter au Grand-Visir tout le danger qui résulte pour l'Empire Ottoman de l'étroite alliance qui subsiste actuellement entre la cour de Vienne et celle de France,194-4 et au cas que la guerre survînt en Allemagne, on pourrait y ajouter que ce serait le moment propre pour les Turcs de profiter de cet évènement, pour les mettre à l'abri des suites funestes que cette alliance pourrait leur causer. Il serait à souhaiter qu'après tous les ménagements et tous les bons procédés que la cour de Londres a eus pour celle de Pétersbourg, elle pût y faire quelques progrès; mais il paraît que ce sera peine perdue.

On ajoute encore une réflexion à ceci, soumettant le tout aux lumières supérieures de Sa Majesté Britannique, c'est que, voyant que le nouveau triumvirat formé en Europe, bien loin de conserver quelque ménagement pour ses anciens alliés, s'achemine tout droit à l'exécution de ses dangereux projets, il paraît juste que l'Angleterre et la Prusse, bien loin de se laisser amuser par eux, travaillent avec la même vigilance pour s'y opposer. Les anciens systèmes ne sont plus; ce serait vouloir courir après une ombre que les vouloir rétablir. Il y a des engagements trop forts qui lient à présent ces puissances dictatrices du sort des rois; il ne reste aux puissances qui veulent s'opposer à leur tyrannie et aux proscriptions qu'elles méditent, qu'à former un système nouveau de leur côté, pour qu'un nouvel équilibre se forme en Europe et que la force puisse réprimer la violence et rompre des desseins pernicieux à tous ceux qui aiment leur patrie, leur liberté et le bien de toute l'Europe.

Nach dem eigenhändigen Concept; übereinstimmend mit der an Mitchell übergebenen Ausfertigung im Public Record Office zu London.

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191-3 Eine Abschrift der von Podewils Mitchell übergebenen Ausfertigung (vergl. S. 190; trägt von Podewils' Hand den Vermerk „Copie d'un mémoire remis au sieur Mitchell par les ordres de Sa Majesté le 9 août 1756“ .

192-1 In dem Nachlass Mitchell's im British Museum findet sich — abschriftlich folgendes Schreiben: „Sire. Comme je ne suis nullement dans le secret, ni n'aie rien plus à faire avec aucun parti en Angleterre, ce que j'ai appris, n'était que par hasard et très imparfaitement.
     J'ai vu une lettre du maréchal de Belle-Isle à M. de Chavigny en février 1755, où il dit « il y aurait un bon coup à faire par les amis et les correspondances que je me suis menagé quand j'étais en Angleterre » (vergl. Bd. III, 399; IV, 407). Depuis, j'ai su qu'il y avait une correspondance entre des gens en Angleterre et les ministres de France, que, sur l'arrivée des Hanovriens et Hessois (vergl. Bd. XII, 508), ces Anglais disaient que les 20,000 hommes ne suffisaient plus, qu'il en fallait davantage: on me dit aussi qu'il n'y avait pas un seul jacobite dans le secret, que c'était le parti republicain. Je suis assez porté à croire que c'est quelque brouillon ambitieux qui veut tromper la France, mais s'il y réussit et que les Français peuvent passer 30,000 hommes, le pays est perdu et ruiné à jamais. La France n'a pas besoin dans cette année de ses forces de terre, elle pourrait fort bien risquer 30,000 hommes. Je crois le parti jacobite peu à craindre, ceux d'entre eux que j'ai connus, sont revenus de l'erreur; il n'y a que dans les montagnes d'Ecosse, où on pourrait séduire encore quelques-uns par l'appât de l'or.
     Je prie Votre Majesté de ne pas laisser savoir d'où vous vient ces avis, le Roi, votre oncle, ne douterait pas que mon intention était de lui remplir l'esprit de soupçons mal fondés; je ne suis que rebelle, je ne suis ni faux ni fripon; je voudrais vous servir, Sire, et ma patrie en même temps; je ne connais point d'autre parti.“
     Ohne Zweifel bezieht sich die obige Aeusserung des Königs auf dieses an Mitchell abschriftlich tibergebene Schreiben; wahrscheinlich ist es in der Audienz vom 7. August (vergl. Nr. 7819) dem Gesandten vom Könige eingehändigt worden. Der Verfasser des Schreibens scheint Lord Marschall zu sein, der seit Mitte Juli in Potsdam zum Besuch des Königs weilte. Auf ihn, den ehemaligen Gesandten in Paris und damaligen Gouverneur von Neuchâtel, deutet unter anderem auch das Schreiben Belle-Isle's an den französischen Gesandten in der Schweiz, Theodor von Chavigny.

193-1 Vergl. Nr. 7831.

193-2 Vergl. S. 190.

194-1 Vergl. Bd. XII, 508.

194-2 Vergl. S. 62.

194-3 Vergl. Bd. XII, 474.

194-4 Vergl. S. 180. 189.