7936. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A COMPIÈGNE.

Potsdam, 28 août 1756.

J'espère que ma dépêche du 27 de ce mois, que je vous ai envoyée par un exprès, vous sera heureusement parvenue. Pour vous<307> mettre encore mieux au fait de tous les mauvais procédés que la cour de Saxe, et principalement son premier ministre, le comte de Brühl, a tenus à mon égard, et des intrigues les plus noires qu'il a jouées contre moi, je vous communique ci-clos un extrait en raccourci de différentes dépêches qu'il a faites aux ministres saxons en différentes cours, que je vous assure si authentiques que je saurais les mettre au jour devant qui que ce soit, et que je voudrais faire imprimer toutes in extenso pour mettre aux yeux de tout le monde des choses bien plus étranges encore que celles que cet extrait comprend, si le ménagement pour le roi de Pologne ne m'en retenait; ce qui cependant saurait se faire encore, pourvu qu'on m'y presse.

Vous communiquerez cet extrait à M. de Rouillé, en l'assurant de son authenticité, que j'étais toujours à même de prouver, pour le faire réfléchir lui-même sur ce [que] j'avais à attendre dans ma situation présente d'un ministre tout-puissant sur l'esprit de son maître, surtout en me rappelant la conduite que la cour de Saxe tenait l'année 1744, où elle joignit ses forces aux Autrichiens en Bohême,307-1 et l'année 1745, où elle invita les troupes de la Reine-Impératrice à traverser la Saxe pour attaquer l'électorat de Brandebourg.307-2

Et, comme ce ministre agit toujours sur les mêmes principes, la prudence ne m'obligeait-elle pas, dans les circonstances présentes où je me trouve vis-à-vis de la reine de Hongrie, de veiller sur la sûreté de mes États et de désarmer un ennemi qui n'attend que l'occasion de m'enfoncer le poignard au cœur, quand mes autres ennemis m'arrêteront pour le lui laisser faire à loisir, afin de le mettre dans l'impuissance de nuir à moi et à mes États pendant le cours de la présente guerre?

Au surplus, il vous sera permis de donner une copie de cet extrait à M. de Rouillé.

Au reste,307-3 je vous adresse ci-clos un extrait fidèle de différentes dépêches du comte de Brühl qui ont servi d'instructions aux ministres saxons aux cours étrangères.

Federic.

Nach dem Concept.

Extrait.

L'on n'impute rien au ministre de Saxe, comte de Brühl, que ce qu'on est en état de prouver par des pièces authentiques.

Dès qu'il fut instruit de la conclusion du traité de Pétersbourg, il écrivit au général Arnim, alors ministre de Saxe en Russie, du 19 février 1750 :

„Le Roi est prêt d'accéder au traité de Pétersbourg,307-4 y compris les articles secrets; il demande seulement que le roi d'Angleterre, comme<308> électeur d'Hanovre, y accède préalablement, et que les deux cours impériales s'arrangent tant pour le secours que la Saxe doit s'en attendre en cas de besoin, que sur la part que cette dernière aura au butin.“

Dans la même dépêche il enjoint au sieur d'Arnim: „D'entretenir adroitement la jalousie de la Russie contre la puissance de la Prusse, de louer et d'applaudir à tous les arrangements que l'on pourrait prendre contre cette couronne.“

Par une dépêche de décembre 1752308-1 il fait insinuer à la Russie: „Que cette cour devait promptement remédier aux plaintes des Polonais touchant la Courlande, afin que ce duché ne devînt pas la proie d'un voisin remuant et ambitieux.“

Les dépêches du 6, du 15 et du 20 février 1754 roulent sur des avis que le comte Brühl donne au ministère de Pétersbourg des arrangements de commerce, de l'établissement des cours de monnaie et des armements des Prussiens. Ce ministre accompagne ces communications de ces réflexions : „C'est,“ dit-il, „pour ruiner le commerce de la ville de Danzig et pour s'agrandir dans la Prusse Polonaise.“

On compilerait un gros volume de tous les mensonges que ce ministre a débités à Pétersbourg, à Vienne, à Paris, à Londres touchant le payement des billets de la Steuer,308-2 pour noircir la Prusse, ses correspondances de l'année 1753 ne roulant presque que sur ce sujet.

Lorsqu'on établit pour principe fondamental en Russie, dans des assemblées du Sénat tenues à Moscou et à Pétersbourg, d'écraser le roi de Prusse par des forces supérieures,308-3 dès que l'occasion se présenterait pour le réduire à son premier état de modicité, le comte de Brühl fait insinuer par sa dépêche du 9 d'avril 1754 : „Qu'il est très bien informé des desseins du roi de Prusse sur la Prusse polonaise, et que la nécessité, devenant plus grande tous les jours, obligeait la Russie d'entretenir une forte armée en Livonie.“ Sur quoi, on lui répond …: „Il faut que vous attendiez le moment où le chevalier sera désarçonné, pour lui donner le coup de grâce.“ 308-4

A quoi, le comte Brühl répond par la dépêche du 11 novembre 1755 :

„Les délibérations du Grand-Conseil308-5 sont d'autant plus glorieuses à la Russie qu'il ne saurait y avoir rien de plus profitable à la cause commune, que d'établir d'avance les moyens efficaces pour ruiner la trop grande puissance de la Prusse et l'ambition non douteuse de cette cour.“

Dans une dépêche du 23 novembre 1755 est encore :

<309>

„Le résultat du Grand-Conseil tenu à Pétersbourg nous a donné une grande satisfaction, la communication confidente que la Russie veut bien en faire,309-1 mettra tous ses alliés en état d'entrer en explication sur les arrangements et les mesures à prendre en conséquence. On ne saurait vouloir du mal à la Saxe, si, eu égard au pouvoir prépondérant de son voisin, elle procède avec la dernière précaution et qu'elle attende avant toute chose sa sûreté de ses alliés et le secours des moyens pour agir.“

C'est-à-dire en bon français : „Commencez la guerre, donnez-nous de l'argent, et nous porterons le coup de grâce à ce voisin dangereux, quand nous le pourrons faire avec sûreté.“

La convention de neutralité de l'Allemagne signée à Londres,309-2 il craint que la cour de Londres ne travaille à réconcilier le roi de Prusse avec l'impératrice de Russie, en détruisant les calomnies répandues à Pétersbourg. Voici comme il s'en explique par sa dépêche du 23 juin 1756 …:

„La réconciliation entre la cour de Berlin et de Pétersbourg serait l'évènement le plus terrible qui pourrait arriver; il faut espérer que la Russie ne prêtera pas l'oreille à des propositions aussi odieuses, et que la cour de Vienne trouvera bien le moyen par ses largesses de contrecarrer une aussi funeste union“ etc. etc.


Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.



307-1 Vergl. Bd. III, 302. 303.

307-2 Vergl. Bd. IV, 337.

307-3 Dieser letzte Abschnitt au clair.

307-4 Vergl. Bd. VII, 432.

308-1 Vergl. Bd. IX, 323.

308-2 Vergl. Bd. IX, 487; X, 537.

308-3 Vergl. Bd. X, 85 — 439 ; XI, 439.

308-4 Vergl. Bd. X, 79.

308-5 Vergl. Bd. XI, 430. 439. 440.

309-1 Vergl. Bd. XI, 440.

309-2 Vergl. Bd. XII, 503.