8144. AU FELD-MARÉCHAL COMTE DE SCHWERIN AU QUARTIER GÉNÉRAL D'AUJEZD.

[Lobositz,] 2 octobre [1756].

Mon cher Maréchal. Pour que vous ne m'accusiez pas de craindre les 700 canons autrichiens, j'ai cru ma réputation engagée à faire un tour de force contre ces gens.

Je suis parti le 28479-1 de mon camp de Sedlitz tout seul. J'ai joint mon armée de Bohême consistant en 60 escadrons et 28 bataillons, campés auprès d'Aussig dans un camp que j'ai jugé mauvais et peu avantageux aux troupes. J'ai pris sur la connaissance de toutes ces choses mon parti. J'ai fait une avant-garde de 8 bataillons et de 10 escadrons de dragons avec 8 de hussards. J'ai marché moi à la tête de ce corps à Türmitz. J'ai donné ordre à l'armée de me suivre par deux colonnes, l'une par le Pashcopolo, l'autre par le chemin que mon avant-garde avait tenu, le chemin de la poste d'Aussig à Lobositz étant devenu impracticable, à cause des pandours qui occupent la rive droite de la rivière. De Türmitz, je suis marché avec mon avantgarde sur Wellemin. J'y arrivai le soir une heure avant le coucher du soleil. Je vis l'armée autrichienne, la droite appuyée à Lobositz, la gauche vers l'Égre. Leur force de 60,000 hommes ne m'a pas effrayé, ni leurs canons. J'ai occupé moi-même le soir avec 6 bataillons une<480> trouée et des hauteurs qui dominent Lobositz, et dont je résolus de me servir le lendemain pour déboucher sur eux. La nuit mon armée arriva à Wellemin, où je me contentai de former les bataillons en ligne, les uns derrière les autres, et les escadrons de même.

Dès la petite pointe du jour du 1er d'octobre, je pris avec moi les principaux généraux et leur montrai le terrain du débouché que je voulais occuper avec mon armée, savoir l'infanterie en première ligne, occupant deux hautes montagnes et un fond qui est entre deux, 6 bataillons en seconde ligne, et toute ma cavalerie en troisième. Je fis toute la diligence possible pour bien appuyer mes ailes sur ces hauteurs en y mettant des flancs. L'infanterie de la droite gagna son poste, et je pris toutes les précautions pour la bien assurer, la regardant comme mon salut et comme la principale sûreté de l'armée. Ma gauche, en se formant, entra d'abord dans un engagement avec les pandours et les grenadiers de l'ennemi, postés dans des enclos de vignes fermés par des murailles de pierre.

Nous avançâmes de cette façon jusqu'à l'endroit où les montagnes versent vers l'ennemi, où nous vîmes la ville de Lobositz garnie par un gros corps d'infanterie, une grosse batterie de 12 pièces de canon devant et de la cavalerie formée en échiquier et en ligne entre Lobositz et le village de Sullowitz. Le brouillard était épais et tout ce que l'on pouvait distinguer, était une espèce d'arrière-garde de l'ennemi qui ne demandait qu'à être attaquée pour se replier sur ses derrières. Comme j'ai la vue mauvaise, j'ai consulté de meilleurs yeux que les miens pour me rendre compte de ce qui se passait, qui ont vu tout comme moi. J'ai envoyé pour les reconnaître, et tous les rapports que j'ai reçus, ont été conformes à ce que j'en avais jugé.

Après donc que je trouvai mes 24 bataillons placés dans cette trouée comme je le croyais convenable, je crus qu'il ne s'agissait plus que de faire repousser cette cavalerie qui était devant moi, et qui prenait toutes sortes de figures, comme vous en pourrez juger à peu près par le mauvais dessein que je vous envoie ci-joint. Sur cela, je fis déboucher 30 escadrons de cavalerie, qui attaquèrent celle de l'ennemi. Ils les poussèrent avec trop de vigueur et donnant dans le feu du canon ennemi. Ce qui, après une vigoureuse résistance, les obligea à se réformer sous la protection de mon infanterie. A peine cette attaque fut- elle passée, que mes 60 escadrons, sans attendre mes ordres et très fort contre ma volonté, attaquèrent une seconde fois. Un feu de 60 canons dans leurs deux flancs ne les empêchèrent pas de battre totalement toute la cavalerie autrichienne. Mais ils trouvèrent au delà de tout ce feu un terrible fossé qu'ils franchirent encore, au delà duquel et dans leur flanc gauche ils rencontrèrent de l'infanterie autrichienne, avec du canon, placée dans un autre fossé, dont le feu fut si fort qu'il les força de se retirer sous notre protection. Personne ne les poursuivit, et je profitai de ce moment pour les replacer sur la montagne<481> derrière mon infanterie, où je les rangeai comme si c'était à une manœuvre.

La canonnade cependant ne discontinuait pas, et l'ennemi fit tous les efforts possibles pour tourner ma gauche d'infanterie. Je sentis le besoin de la soutenir et j'y envoyai les deux derniers bataillons des 24 qui me restaient. Mais, pour faire bonne mine à mauvais jeu, je fis faire un tour à gauche à 24 bataillons de la première ligne. Je remplis, faute de mieux, ce centre par mes cuirassiers, et je fis encore une seconde ligne du reste de ma cavalerie, qui soutenait mon infanterie. En même temps, toute ma gauche d'infanterie, marchant par échelons, fit un quart de conversion, prit la ville de Lobositz, malgré le canon et la prodigieuse infanterie de l'ennemi en flanc, remporta ce poste et obligea toute l'armée ennemie de s'enfuir.

Le prince de Bevern s'est si fort distingué que je ne saurais assez vous chanter ses louanges. Avec 24 bataillons, nous en avons chassé 72 et, si vous voulez, 700 canons. Je ne vous dis rien des troupes, vous les connaissez, mais depuis que j'ai l'honneur de les commander, je n'ai jamais vu de pareils prodiges de valeur, tant cavalerie qu'infanterie. L'infanterie a forcé des enclos de vignes, des maisons maçonnées ; elle a soutenu depuis 7 heures jusqu'à 3 heures de l'après-midi un feu de canon, d'infanterie et surtout l'attaque de Lobositz, ce qui a duré sans discontinuer, jusqu'à ce que l'ennemi s'est trouvé chassé. J'ai surtout eu l'œil à soutenir la hauteur de ma droite, ce qui, je crois, a décidé de toute l'action. Montrez, je vous en prie, le croquis ci-joint à Fouqué; s'il ne le voyait pas, il ne me le pardonnerait jamais.

J'ai vu par ceci que ces gens ne veulent se hasarder qu'à des affaires de poste et qu'il faut bien se garder de les attaquer à la hussarde. Ils sont plus pétris de ruses que par le passé, et croyez m'en sur ma parole que, sans beaucoup de canons pour les leur opposer, il en coûterait un monde infini pour les battre.

Moller de l'artillerie a fait des merveilles et m'a prodigieusement secondé.

Je ne vous parle de mes pertes que les larmes aux yeux. Les généraux Lüderitz et Oertzen sont tués et Holtzendorff des gendarmes; enfin je ne veux pas m'affliger en vous rappelant mes pertes. Mais ce tour de force est supérieur à Soor et à tout ce que j'ai vu de mes troupes. Ceci fera rendre les Saxons et finira ma besogne pour cette année. Je vous embrasse, mon cher Maréchal, et vous conseille d'aller bride en main. Adieu.

Federic.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei. Die Ausfertigung war eigenhändig.

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479-1 Genauer: am 27. Abends. Vergl. S. 474. 478.