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Vous saurez sans doute que les Français ont abandonné Wésel.1 Quels cotons, mon cher frère! Revenez des préjugés favorables que vous aviez pour eux à Erfurt.2 Leurs officiers ont un jargon militaire qui en impose; mais ce sont des perroquets qui ont appris à siffler une marche, et qui n'en savent pas davantage. J'espère que vous en conviendrez à présent, et que vous voyez que tous les hommes, quels qu'ils sont, font des sottises, et que ceux qui valent le mieux, font les moins grossières.

Voilà, mon cher frère, le propre de l'humanité. La carrière de la sagesse est plus bornée que l'on pense; la perfection ne se trouve en aucun genre; l'on tourne alentour, on en approche, mais on ne l'atteint jamais. Vous me donnerez au diable avec ma morale; je ne saurais qu'y faire. Ce sont des vérités humiliantes pour l'humanité qui n'en restent pas moins vraies, mais qui n'empêchent pas d'agir comme si nous étions parfaits.

Adieu, mon cher frère, je vous embrasse. Ne m'oubliez pas, aimezmoi un peu, et soyez sûr de la tendresse avec laquelle je suis, mon cher frère, votre fidèle frère et serviteur

Federic.

Nach der Ausfertigung. Eigenhändig.


9896. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH A BAIREUTH.

Grüssau, 5 avril 1758.

Ma très chère Sœur. Votre lettre a pensé éteindre la joie dans laquelle j'étais de l'infâme fuite des Français. Comment, ma chère sœur, vous voulez que je tremble toujours pour vous? Non, vous ne m'aimez plus; si vous m'aimez encore, vous ménageriez une vie à laquelle la mienne est attachée. Par tout ce qui vous est cher, daignez vous conserver, et songez que fortune et gloire ne sont rien pour mon cœur, si je vous perds.

On a ouvert la tranchée devant Schweidnitz, et j'espère que dans huit jours l'ouvrage sera achevé. Nous ne reverrons plus les Français, ils ont été si bien accommodés que leur perte passe les 33,000 hommes. Us ont abandonné la Frise, Wésel,3 et se sont tous sauvés au delà du Rhin. Ne craignez désormais plus rien pour nous, ma chère sœur, et songez que la grande difficulté est levée; que des bagatelles passagères ne vous chagrinent point! Je vous supplie, j'embrasse vos genoux, daignez vous ménager et vous distraire; tâchez de vous dissiper et soyez sûre que, plus d'une fois, j'aurai occasion de vous donner de bonnes nouvelles !

Adieu, ma chère, mon adorable sœur; je ne peux faire que des voeux pour vous, mais ils sont bien sincères. Veuille le Ciel que je



1 Vergl. Nr. 9894. Anm. 3.

2 Vergl. Bd. XV, 341—380.

3 Wie oben.