9760. A LA MARGRAVE DE BAIREUTH A BAIREUTH.

Breslau, 8 février [1758].

Ma très chère Sœur. J'ai été assez heureux aujourd'hui pour recevoir deux de vos lettres, l'une du 17 et l'autre du 28 janvier. Je prends la liberté d'y répondre par le feuillet ci-joint.231-1

Nous sommes, ma chère sœur, ici dans une situation assez tranquille, à nous rétablir de nos pertes, et occupés à faire la meilleure résistance que nous le pourrons le printemps prochain à nos ennemis. Ma sœur Amélie est retournée à Berlin,231-2 et je mène à peu près la vie d'un anachorète, travaillant beaucoup, ne sortant point et me délassant le soir avec une petite société et de la musique.

Je plains bien, en vérité, votre voisinage de toutes les visites qui y arrivent. Les triumvirs de l'Europe ont substitué la force au règne des lois; il n'y a plus sur la surface de la terre que des injustices et des violences, et, si la fortune ne nous seconde pas singulièrement, la tyrannie donnera des fers à tout le monde connu. Nous devons tous nous consoler de ce que notre siècle fera époque dans le monde, et que nous avons été les témoins des évènements les plus extraordinaires que la vicissitude des choses n'a produits de longtemps. C'est beaucoup pour notre curiosité, mais rien pour notre bonheur. Enfin, ma chère sœur, ces faquins d'empereurs, impératrices et rois me forcent encore de danser sur la corde cette année ici. Je m'en console dans l'espérance de donner aux uns ou aux autres de bons coups du balancier sur le nez;231-3 mais cela fait, il faut en vérité en venir à la paix. Quel sacrifice d'hommes! quelle épouvantable boucherie! je n'y pense qu'en frémissant. Quoi qu'on en ait, il faut se faire un cœur d'airain et se préparer aux meurtres et aux carnages que les préjugés rendent héroïques, mais qui sont toujours affreux, lorsqu'on les voit de près.

Je vous supplie de vous distraire de ces idées noires et de vous égayer l'esprit, le plus qu'il vous sera possible. Pensez, ô ma chère sœur, que votre amitié fait toute ma consolation, et que je perdrais tout en vous perdant; daignez toujours compter sur mon cœur, comme un bien qui vous appartient, et être persuadée de la tendresse infinie avec laquelle je suis, ma très chère sœur, votre très fidèle frère et serviteur

Federic.

Nach der Ausfertigung. Eigenhändig.



231-1 Nr. 9761.

231-2 Vergl. S. 222.

231-3 Vergl. Nr. 9757.