10004. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A LONDRES.

Quartier général près de Prossnitz, 21 mai 1758.

Les dépêches que vous m'avez faites du 23, du 24 et du 26 d'avril, tout comme celle du 2 de ce mois, m'ont été fidèlement rendues. Comme j'ai été d'abord bien aise d'apprendre la bonne disposition où vous avez trouvé également Mrs. Pitt et Holdernesse pour appuyer au projet de faire diversion à la France, tant en Europe qu'en Amérique, je ne saurais que fort applaudir aux mesures qu'ils ont prises, dont ils ont bien voulu vous faire communication, et on a tout lieu d'espérer qu'ils22-4 porteront coup, pourvu qu'ils soient bien conduits à leur exécution et avec cette activité qu'il faut. Il n'y a qu'une seule chose<23> que je ne puis me dispenser de vous faire observer, quoique uniquement à vous seul et pour votre seule direction, c'est que, dans toutes ces mesures, il ne s'agit que des intérêts de l'Angleterre seule, sans qu'il en soit aucunement question des miens, et qu'il me paraît cependant que dans de bonnes alliances il faudra observer les intérêts des deux partis qui [les] ont contractées. En attendant, comme l'on ne saurait envisager la France que comme la cheville ouvrière parmi nos ennemis, il est toujours bon, et j'en suis bien aise que l'Angleterre agisse avec vigueur contre celle-là pour humilier son orgueil, et quant au reste, il faut bien l'attendre du bénéfice du temps.

Quant aux détails que vous me marquez relativement aux affaires à régler avec le prince Ferdinand, le duc de Brunswick et le landgrave de Cassel, je vous dirai que, dans l'éloignement des lieux où je me trouve actuellement, et très occupé que je suis à présent par rapport à mes opérations militaires présentes, j'aurais de la peine d'entrer moimême dans tous ces détails; cependant, comme j'ai déjà prévenu en quelque façon le duc de Brunswick sur la nécessité qu'il y a pour sa propre sûreté d'augmenter ses troupes qu'il a parmi l'armée alliée,23-1 et que d'ailleurs mes ministres écriront d'abord au prince Ferdinand de Brunswick et au Landgrave, conformément à ce que vous proposez dans votre dépêche, je crois que cela ne manquera pas de produire un bon effet. Au surplus, j'approuve les expédients que vous avez proposés pour que le susdit Landgrave soit aidé et soulagé,23-2 ce qu'il mérite certainement par sa fermeté et à tous égards.

Ce que vous me marquez touchant la confidence que le baron de Münchhausen23-3 vous a faite touchant la nouvelle tentative que la France a faite auprès du roi d'Angleterre, m'a fait plaisir, aussi pouvez-vous l'en remercier encore de ma part, en lui assurant, comme aux ministres d'Angleterre, si vous le trouverez convenable, que, quelque offre ou proposition que jamais la France ou ses alliés voudraient me faire, je resterais inébranlablement attaché à l'Angleterre et n'écouterais rien, sans en communiquer et me concerter avec elle, et pour ce qui regarde le bruit ou l'avis qu'on prétend avoir là de l'envoi d'un officier général, nommé de Mortagne,23-4 que la cour de France me dut avoir envoyé, vous pouvez traiter cela comme un conte fait à plaisir et y donner un haut démenti envers tous qui le voudront entendre, partout où vous le jugerez nécessaire.

Le plan pour l'ouverture de la campagne que le sieur Pitt vous a confié pour me le communiquer, m'a paru bien juste et bien pensé, quoique je n'aie pas assez de connaissance locale des lieux les plus<24> propres pour faire la descente.24-1 Nonobstant cela, je me flatte d'un bon succès qu'il aura, surtout s'il était possible que le projet saurait être exécuté à peu près en même temps que le prince Ferdinand se mettra de nouveau en mouvement, et que ce Prince en fut à temps informé secrètement. Quant au second parti dont M. de Pitt vous a parlé,24-2 et qu'il voudrait attacher à l'envoi d'un corps des troupes anglaises en Allemagne, vous pourrez bien vous expliquer là-dessus de façon que je pourrais bien adopter cette idée, au cas que les évènements me secondassent pour porter quelque coup considérable aux Autrichiens qui les mettrait, pour ainsi dire, hors du combat; qu'en attendant il serait toujours bon que le premier point du plan fût exécuté.

Je vous sais beaucoup de gré des anecdotes concernant différentes cours dont vous avez voulu bien me rendre compte,24-3 et que j'ai trouvées également curieuses et intéressantes.

En général, vous pouvez être assuré que je suis très satisfait de toutes les démarches que vous avez faites jusqu'à présent, tant auprès du Roi qu'auprès de son ministère, dont il n'y [a] aucune qui ne soit pas conforme à mes intentions. Mais ce que je ne saurais me dispenser de vous dire, c'est que j'espère que vous ne me ferez pas tous les huit jours de si volumineuses relations que cette fois-ci; non pas que les matières qu'elles comprennent, m'eussent ennuyé; tout au contraire, je les ai trouvées toutes intéressantes et instructives; mais vous considérerez, que, le moment où il faut que je prête toute mon attention sur mes opérations militaires, il me coûte un peu d'en partager le temps avec d'autres affaires, et il pourrait arriver que, faute du temps, je ne saurais vous répondre sur tous les articles d'une volumineuse dépêche . . .24-4

Federic.

P. S.

Soli et secret, ce que vous prendrez la peine de déchiffrer tout vous-même.

Quoique je convienne de tous les avantages que je pourrai retirer, avec l'assistance du ministère actuel, de mon alliance avec l'Angleterre, je vous prie cependant de considérer et de vous bien imprimer que,<25> jusqu'à présent, nous n'avons pas encore retiré le moindre avantage de ces gens; car pour ce qui regarde les subsides, ils sont actuellement encore dans leur pays et, s'il me sera possible de m'aider moi-même, je n'en ferai aucun usage dans le cours de cette année-ci. Ainsi, si l'on veut apprécier au juste toutes les idées relativement à ces gens, il ne me revient de leur assistance au delà de l'armée hanovrienne, qui est le seul avantage que je retire jusqu'à présent de leur alliance. Par ces considérations et comme je n'ai pu avoir d'eux quelque escadre dans la Baltique,25-1 dont cependant j'aurais retiré un grand secours, tant contre la Suède pour l'empêcher de ne pas pouvoir faire des transports en Poméranie, que contre la Russie pour la mettre hors d'état de faire des ostentations dans la Baltique et d'envoyer des galères pour menacer les côtes maritimes de ma Poméranie et porter secours aux Suédois — quoique je comprenne bien que les ministres anglais ne m'ont actuellement refusé ce secours que parcequ'il leur faut à présent partout avoir des flottes pour s'aider dans leurs propres affaires, et que l'Angleterre n'est pas si forte en nombre de vaisseaux de guerre pour en avoir de reste à envoyer dans la Baltique25-2 —, par toutes ces considérations, dis-je, il faut que vous observiez que, dans les conjonctures présentes, il faut que nous tirions d'ailleurs tous les avantages que nous pourrons de notre alliance, et c'est en conséquence déjà un grand avantage que ces gens, comme il le paraît, veulent pousser la guerre contre la France également sur ses côtes maritimes qu'aux Indes.

Le second article principal sera, qu'ils ne négligent pas de fortifier l'armée du prince Ferdinand de Brunswick — qui apparemment se sera mis à présent en mouvement pour chasser les Français de l'autre rive du Bas-Rhin25-3 —, soit par des corps entiers, soit par des augmentations des corps de cette armée,25-4 ce qui m'est égal.

Indépendamment de tout cela, la chose la plus principale que je vous dirai pour votre direction, est que, si le Ciel bénira mes entreprises et que la fortune secondera mes opérations militaires, que vous tâchiez de ménager soigneusement et avec adresse les ministres anglais de façon qu'en faveur de la perspective de notre réunion et des avantages que l'Angleterre en saura retirer, ils ne me soient du tout contraires dans ceux que, le cas venant à exister, je pourrai retirer de la guerre présente.25-5 Et quoiqu'il soit vrai que moi-même je ne saurais déjà voir clair comment la guerre se finira, j'ai cependant quelque espérance que, pourvu que la fortune ne nous soit absolument pas contraire dans cette guerre, il en ressortira toujours quelques avantages pour moi, tout comme pour la nation anglaise. C'est aussi par cette considération, et afin que j'aie les mains d'autant plus libres pour faire mes conditions sur mes avantages, que jusqu'à présent — comme je le veux<26> bien vous dire en confidence; — je n'ai point voulu recourir aux subsides qu'on me donne, parceque je n'en voudrais pas être gêné sur les avantages que de bons événements sauraient me procurer.

Par ce peu de mots, vous pénétrerez à peu près ma façon de penser en gros et en général, et quoique je convienne volontiers que, sous les grands hasards que j'ai encore à risquer, il soit douteux si je puis me flatter des avantages, vous saurez en attendant vous y diriger dans le cas que la fortune me sera favorable, pour pressentir les ministres anglais jusqu'où l'on pourra compter sur ces gens par rapport à mes avantages à faire, si la fortune et les évènements me seront favorables. Autant je puis vous dire pour votre direction que j'ai déjà flatté le sieur Yorke par l'idée que, quand nous aurions préalablement fini avec les Autrichiens ici, nous pourrions alors réunir nos forces pour tomber sur la France, et c'est aussi en conséquence que vous sauriez toujours faire semblant au moins d'adopter l'idée que le sieur Pitt a prétendu attacher dans le cas d'un envoi d'un corps de troupes anglaises en Allemagne,26-1 quoique naturellement ce ministre, d'ailleurs assez intelligent, eût dû envisager — ce que je ne dis cependant que pour vous seul — que j'ai, outre les Autrichiens, à combattre les Russes, et que naturellement je dois la première protection à mes sujets. Au surplus, comme le chevalier Pitt me paraît être un homme bien vif et fort entêté, je crois qu'il sera très nécessaire que vous appreniez à connaître à fond sa véritable façon de penser, afin que, quand tels évènements heureux m'arriveraient que je les souhaite, nous en saurions profiter aussi avantageusement pour y faire condescendre ce ministre, autant qu'on le saura désirer.

De vous dire d'avance et actuellement déjà jusqu'où mes prétentions sauraient aller alors, voilà ce que je ne suis pas à même de faire dans ce moment-ci, et tout dépendra des évènements de cette campagne et des avantages, tout comme des progrès que nous pourrons faire sur l'ennemi; mais au sujet des idées vagues que je vous fournis, vous aurez peut-être l'occasion de vous bien orienter sur ce que l'Angleterre, les cas susdits supposés, voudra faire, et si nous pourrons nous promettre de réussir avec eux, ou si nous rencontrerons des difficultés parmi eux.

Au reste, je ne doute pas de la sagesse et de la prudence que je vous connais, que vous ne laisserez pas apercevoir, ni direz pas un mot de tout ce que je vous écris dans ce post-scriptum à âme qui vive, et pas même au sieur Michell, ni à mes ministres à Berlin, vu que c'est à vous seul que j'ai bien voulu m'expliquer dans la dernière confidence sur ces articles, afin que vous sachiez vous seul vous en diriger.

Federic.

<27>

J'ai reçu de vous deux volumes in-folio, cela est admirable en temps de paix; mais si vous m'en envoyez encore autant, ne pensez pas que j'aie le temps de les lire, et daignez de grâce ne m'envoyer que des in-douze tout au plus.

Federic.

Nach dem Concept; die Ergänzungen nach der Ausfertigung. Der letzte Zusatz von vier Zeilen eigenhändig auf der im übrigen chiffrirten Ausfertigung.



22-4 Les projets.

23-1 Vergl. S. 17. 18.

23-2 Vergl. Bd. XVI, 72. 372. 391.

23-3 Vergl. S. 7. Anm. 3.

23-4 Vermuthlich ist hier der französische General Graf Mortaigne (zuweilen auch Mortagne geschrieben) gemeint; er war einer der einflussreichsten Generale im Gefolge des Grafen Clermont. Vergl. über ihn Stuhr, Forschungen zur Geschichte des siebenjährigen Krieges II, 106 ff.

24-1 In Canada, in der Normandie und in der Picardie sollten Landungen versucht werden.

24-2 Pitt verhiess, falls die Unternehmungen zur See ohne Erfolg blieben, 6 bis 8000 Mann englischer Truppen nach Deutschland zu senden; doch machte er die Bedingung, dass sich mit den englischen Truppen ein preussisches Heer verbinden solle, das die Offensive gegen Frankreich aufnehme und das vom Könige in eigner Person commandirt werde.

24-3 Nach den Mittheilungen Knyphausen's sollte die holländische Regierung von den Engländern aufgefordert werden, die staatische Armee zu vermehren (vergl. Bd. XVI, 164. 165. 404); von Spanien wollte man wissen, dass es sich den Franzosen nicht anschliessen werde; das Gerücht, der König von Sardinien wolle sich mit den Höfen von Wien und Versailles verbinden, erklärte man in London für unbegründet.

24-4 Der König ertheilt zum Schluss dem Gesandten Befehl, sämmtliche Berichte von Anfang bis zu Ende in Chiffern zu setzen.

25-1 Vergl. Bd. XVI, 433.

25-2 Vergl. Bd. XVI, 228.

25-3 Vergl. S. 13. 16; Bd. XVI, 412.

25-4 Vergl. Bd. XVI, 432.

25-5 Vergl. Bd. XVI, 403.

26-1 Vergl. oben S. 24. Anm. 2.