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11659. AU PRINCE HENRI DE PRUSSE.

[Freiberg,] 10 [décembre 1759].

Mon cher Frère. L'ennemi s'est retiré hier. Quoique tout le corps de Sincere et de Brentano ait été en marche, je me confirme dans mon opinion qu'ils ont cru que le mouvement de Beck1 nous engagerait à évacuer la Saxe. J'apprends ici de tous côtés qu'ils se préparent pour entrer en Bohême; c'est un grand bonheur que Beck ait été aussi circonspect. Czettritz est arrivé là-bas,2 et je leur ai arrangé leur plan de façon que, quand même l'Elbe prendrait, Torgau ne risquerait rien. Ne craignez point pour Herzogswalde,3 je peux être en quatre heures avec la cavalerie à Wilsdruff. Tant que Beck sera détaché, Daun n'entreprendra rien sur vous; mais vous verrez que, ceci n'étant qu'une affaire de contenance, nous nous sauverons par la bonne mine que nous faisons.

Nos secours sont en pleine marche;4 un peu de patience terminera tout ceci, et vous verrez par l'expérience que les Français, ayant autant besoin de la paix que nous, la feront. Les Russes marquent les meilleures dispositions du monde; il ne faut pas pousser l'incrédulité trop loin. On a tant fait de paix sur ce globe, depuis qu'on y fait la guerre, que la paix que nous ferions cet hiver, ne passerait en aucun lieu pour un phénomène extraordinaire. Le commerce de la France abîmé, et qui le serait pour jamais, si elle attendait l'ouverture de la campagne prochaine; les bonnes dispositions du ministère de Pétersbourg: tout me donne des espérances, et si la certitude n'y est pas encore, elle y viendra. Dans huit jours, notre situation de la Saxe changera du noir au blanc, et la paix se fera entre ci et le printemps prochain; du moins, nous détacherons de l'alliance les Français, leurs adhérents et les Russes. Jugez si, après cela, la cour de Vienne voudra rester la dernière dans cette carrière!

Enfin, mon cher frère, je ne puis vous payer qu'avec des probabilités qui sont revêtues de tous les airs de la vraisemblance. Je juge selon la façon des hommes par les passions et par les intrigues de ceux qui gouvernent les cours; je ne suis point prophète ni ne veux l'être, mais s'il faut parier, la paix me paraît plus vraisemblable qu'une guerre telle qu'elle s'est faite cette année. Je suis ici à vos ordres et prêt à partir à tout moment; mais jusqu'au moment présent je manœuvre davantage ici que je ne le peux faire là-bas.

Adieu, cher frère; le motif de vos inquiétudes est si louable que je ne saurais les condamner.5 Un peu de patience, et l'embarras finira.



1 Vergl. Nr. 11657.

2 Vergl. Nr. 11656. 11658.

3 Südsüdwestl. von Wilsdruff.

4 Vergl. S. 681. 682. 683.

5 Der Prinz hatte in einem Bericht, Unkersdorf 8. December, geschrieben: „Tant que la rivière restera dans l'état actuel, il n'est pas à craindre que l'ennemi la passe, mais si la rivière prend, il lui sera très aisé de tomber sur nos quartiers en les prenant à dos.“