11684. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION BARON DE KNYPHAUSEN A LONDRES.

Freiberg, 18 décembre 1759.

C'est depuis le 30 de novembre que je n'ai point eu de vos nouvelles. Je ne vous fais ma présente lettre que pour dire, pour votre direction seule et sous le sceau du secret, que je viens de recevoir une lettre de très bon lieu et de main confidente, sur laquelle je crois pouvoir compter d'autant que jusqu'à présent les nouvelles de celui qui me l'a faite, ne m'ont pas encore failli. En conséquence l'on m'avertit en date du 4 de ce mois que la cour de Versailles, vu le dérangement de ses affaires, avait envie de céder bien à l'Angleterre le Canada, ou comme sont proprement les termes de la lettre, les pays de la morue et des castors, pourvu que la France retirât quelques avantages dans les Pays-Bas. Que de cette façon-là elle ferait sa paix et retirerait d'abord tout ce qu'elle avait des troupes dans l'Allemagne; enfin, selon que je dois présumer par cette lettre, que la cour de France serait capable, moyennant ces conditions, d'abandonner la Reine-Impératrice et ses autres alliés présents.

Ma volonté expresse est que vous ne devez pas parler de cette anecdote hormis qu'au seul sieur Pitt, et point aux autres ministres anglais, à qui seul vous en communiquerez de ma part, en ajoutant que c'était par une confiance particulière que j'avais en sa personne que j'avais bien voulu lui communiquer cette particularité pour son unique usage, et qu'il en fût instruit, le conjurant avec cela qu'il ne m'en commette du tout et en aucune façon. Que, par l'estime distinguée que j'avais pour lui, j'eus voulu l'en prévenir que, comme il me paraissait que le grand but où la cour de Versailles visait pour faire sa paix, n'était que d'avoir quelques possessions encore dans les Pays-Bas, j'avais au moins voulu en avertir M. Pitt qui apparemment ne serait pas fâché d'en être informé et qui peut-être en saurait tirer quelques avantages, quand il saura vers où visaient proprement les vues de la France, et que tout ce que je lui en demandais, n'était qu'il m'en gardât le secret pour ne point me compromettre.703-1

J'attendrai le rapport que vous me ferez bien chiffré à ce sujet.

Federic.

P. S.

Le sieur de Hellen à La Haye vient de me marquer du 8 de ce mois que le prince Louis de Brunswick lui avait communiqué deux notes contenant ce que l'ambassadeur de France lui avait [dit] en réponse préliminaire à la déclaration qu'il avait remise aux ministres des cours belligérantes au nom de l'Angleterre et de la Prusse.703-2 Ce Prince<704> a ajouté comme quoi le comte d'Affry avait insinué dans le discours qu'il conviendrait peut-être de séparer les matières au congrès futur, savoir la querelle particulière entre l'Angleterre et la France de la guerre d'Allemagne, où celle-ci n'était entrée que comme auxiliaire. Il a protesté toujours que ce n'étaient que ses propres idées, mais il les a répétées si souvent dans les discours que le prince Louis ne doute nullement qu'on ne lui en ait écrit.

Ayant, moi, réfléchi sur cette circonstance, je suis bien aise de vous faire observer qu'en combinant cette anecdote que je vous ai communiquée par ma lettre d'aujourd'hui, avec les insinuations du comte d'Affry, l'une paraît confirmer l'autre, et tout me semble partir du principe que mon correspondant a indiqué. Je remarque en passant que, quoique la lettre de ce correspondant ait été du 4 de ce mois, il lui a fallu au moins quatre jours du temps, avant que l'anecdote en question lui ait pu passer au lieu de sa demeure, et que la cour de France a été informée [à] peine des propositions du prince Louis, ni de la perte de sa bataille navale.704-1

Vous ferez votre usage de tout ceci dans l'entretien secret que vous aurez avec M. Pitt, en ajoutant que, comme je lui communiquais fidèlement ce que j'apprenais des intentions de la France relativement à l'Angleterre, je me flattais que, par un retour de confiance, M. Pitt me communiquerait tout ce qu'il apprendrait en Angleterre par rapport aux intentions de la France et aux conditions sur lesquelles elle voudrait faire la paix à mon égard; qu'en nous aidant l'un l'autre par ces communications confidentes, nous deviendrions à même de déclarer rondement d'abord nos conditions à la France pour ne pas traîner longtemps la négociation, et que je ne croyais pas me tromper de conjecturer que, pour peu que nous presserions la France d'un concert commun entre nous, elle se hâterait à conclure sa paix, même en abandonnant ses présents alliés.

Federic.

Nach dem Concept.



703-1 So in der Ausfertigung; im Concept: point commettre.

703-2 Vergl. S. 680. 697.

704-1 Vergl. S. 692.